Au nord du 51e parallèle. Chaque printemps, Thalie voit sa mère, Sandrine, migrer vers le Grand Nord et la forêt boréale qu'elle a pour tâche de faire renaître. Une mission de plusieurs mois au cours desquels la jeune fille reste avec son père entre les murs de la cité de Sainte-Foy, où les arbres ont été remplacés par des capteurs de carbone, et les libertés individuelles réduites à peau de chagrin. Face au désastre écologique, les hommes se sont retranchés dans des enclos ultrasurveillés, où leur progéniture gobe des comprimés d'iode pour résister aux substances radioactives. Une vie sous cloche dont Sandrine parvient donc à s'échapper une partie de l'année en se portant volontaire pour le programme de reforestation MiliTerre. Quand -Thalie atteint sa seizième année, Sandrine lui propose de partir avec elle. « À toi de décider si tu veux faire partie du monde des machines ou de celui des Fées », lui souffle-t-elle. Les Fées, ce sont ces femmes qui œuvrent au nord du 51^e parallèle pour reconstituer une ceinture de flore boréale où se jouera peut-être la survie de l'humanité. Détruisant les souches génétiquement modifiées fournies par les autorités, elles résistent en plantant des jeunes pousses nées de semences ancestrales. « Tu imagines des aires intouchées, des terres inviolables. La frontière qui n'en est plus une, qui n'est plus qu'un portail, quand tu possèdes le bon code-barres. » Les rêves de Thalie se mêlent aux aspirations de sa mère, à vingt ans d'écart. Si la première partie du récit est portée par la voix de la jeune femme, qui a tout à découvrir du monde sauvage, la seconde revient sur les jeunes années de Sandrine, sa maternité, son refus de se conformer à une existence normée, vidée de la substance qui en faisait le miel. Après le somptueux triptyque formé par Encabanée (Le Mot et le Reste, 2021), Sauvagines (Stock, 2022) et Bivouac (Stock, 2023), Gabrielle Filteau-Chiba puise dans l'anticipation la matière d'un roman glaçant où la nature et le corps des femmes sont exploités au profit d'un même système délétère, où le bon sens a laissé place à la peur et au repli sur soi. L'engagement de l'écrivaine pour la protection de la vie sauvage confère à sa plume une puissance instinctive, renforcée par la beauté poétique de sa langue, et fait germer les graines d'une révolte face à un destin soumis aux algorithmes, face à la destruction du vivant. Roman d'apprentissage autant que plaidoyer, Hexa est de ces livres qui habitent, nous amènent à réfléchir et font grandir, et que l'on offre pour résister.