L'empereur philosophe. Contrairement aux légendes complaisamment colportées depuis l'Antiquité même (par Suétone notamment), tous les empereurs romains après Auguste ne furent pas des brutes sanguinaires, des tyrans tombant sous les coups de leurs propres prétoriens. Certains, qui ont mauvaise réputation comme Tibère, Néron ou, bien plus tard, Commode (le fils et successeur de Marc Aurèle), présentent même un bilan contrasté : en dépit d'une conduite personnelle indigne, de nombreux crimes, vengeances et persécutions, ils ont aussi défendu, agrandi l'Empire romain, pris de bonnes mesures en faveur du peuple.
Mais, parmi tous les césars, s'il en est bien un qui fait l'unanimité, c'est Marcus Annius Verus (121-180), devenu Marcus Aurelius Antoninus lorsqu'il fut adopté par son prédécesseur, Antonin le Pieux, en 138 − il fut marié, plus tard, à sa fille Faustine. On était encore sous le règne d'Hadrien (mort en juillet 138), mais le jeune homme, issu de bonnes et riches familles aristocratiques, l'une espagnole, l'autre nîmoise, sut très tôt qu'il était destiné, programmé presque, à exercer un jour l'imperium, à assumer la lourde charge de diriger le plus vaste empire de tous les temps. Le problème, c'est que Marc Aurèle, spontanément, n'était pas un ambitieux, un homme d'action, ni un despote avide de richesses. Son truc à lui, c'était la philosophie, qu'il avait étudiée auprès des meilleurs maîtres comme son ami intime et correspondant (on a conservé quatre-vingt-huit de leurs lettres) Fronton, professeur de rhétorique romaine, ou le Grec Hérode Atticus. il s'intéressait plus particulièrement au stoïcisme, dans la tradition d'Épictète ou de Sénèque. Il dut se faire violence pour accepter le pouvoir qui lui échut, et l'exerça seul durant dix-neuf ans, après y avoir été associé durant vingt-trois ans aux côtés d'Antonin.
Même si tout n'a pas été parfait sous son règne − Frédéric Lenoir lui reproche, par exemple, d'être passé à côté du christianisme et d'avoir continué à persécuter des chrétiens −, s'il a dû faire face à des invasions, des épidémies, des trahisons, il a essayé de mettre en pratique ses préceptes stoïciens : il détestait le luxe et l'ostentation, fut un mari aimant et fidèle jusqu'à la mort de Faustine, en 175 (après quoi il ne se remariera pas), et mena les guerres nécessaires pour préserver les frontières de l'Empire, à l'Est et en Orient.
Son autre particularité, ce qui le rend unique (avec Jules César, dans un autre genre littéraire), c'est que Marc Aurèle était également un écrivain, qui rédigea, en grec, et à son usage strictement personnel, un recueil, Pensées pour moi-même, retrouvé à sa mort par ses soldats, réapparu à Byzance au Xe siècle, puis à la Renaissance en Italie, imprimé enfin en 1559 à Zurich et devenu un long-seller absolu. Dans le désordre, c'est à la fois un recueil de réflexions et de maximes ainsi que de recommandations concrètes. Les piliers de sa pensée, qui vont toujours par trois, sont la discipline des désirs, du jugement sur les représentations et des impulsions vers l'action ; ses vertus cardinales, la vérité, la justice et la tempérance. Il nous invite à la piété envers les dieux (qu'il considère un peu à la façon des hindous, toutes différences gardées, note Frédéric Lenoir), sans fanatisme aucun mais dans le respect des institutions, de la société et de l'Empereur divin (ce à quoi se refusaient les chrétiens), et, surtout, il nous incite à savourer chaque jour vécu comme s'il était le dernier. Carpe diem. Philosopher, pour Marc Aurèle, c'est apprendre à vivre.
Le rêve de Marc Aurèle
Flammarion
Tirage: 80 000 ex.
Prix: 20,90 € ; 288 p.
ISBN: 9782080422095