Livres Hebdo - Comme beaucoup, vous avez été séduit par le nouveau pape, auquel vous avez consacré un livre (1).
Frédéric Lenoir - C’est une histoire de coup de cœur. Le soir de son élection, le 13 mars 2013, j’étais sur le plateau de France 2 en direct. J’étais un des rares à connaître le nouveau pape parce que l’abbé Pierre m’avait parlé de cet évêque de Buenos Aires, de son sens de la simplicité et de son inquiétude de la pauvreté. Dès ses premiers mots à Saint-Pierre de Rome, je savais que ce jésuite allait délivrer un message qui serait un retour vers l’essentiel, c’est-à-dire à l’Evangile.
Pour vous aussi, ce livre est un retour, au christianisme en l’occurrence ?
C’est vrai, depuis quelques livres, je me suis plus préoccupé de philosophie, de psychologie et de l’art de mieux vivre. Depuis Le Christ philosophe et Comment Jésus est devenu Dieu, j’avais un peu délaissé le christianisme. Avec l’élection du pape François, il s’est passé quelque chose. Ce fut comme une remise sur les rails de l’Eglise sur ce qui constitue sa vocation première. J’ai donc voulu expliquer la portée historique de cette transition.
Entre Jean-Paul II et François, il y a eu Benoît XVI. Vous auriez pu écrire sur lui ?
Non, il ne m’inspirait pas. Il était doctrinal, sans l’ouverture nécessaire aux non-croyants. Le monde et la société dans lesquels nous vivons sont essentiels et nous devons tout faire pour mieux les comprendre. Tout cela se retrouve chez le pape François, notamment dans son refus d’une Eglise puissante et fastueuse et dans son intérêt pour l’économie ou l’écologie.
Quelle est la place de l’histoire des religions dans cet engouement actuel pour le spirituel ?
Comprendre à quoi servent les religions, expliquer quelle est leur fonction sociale, tous ces éléments sont déterminants. Nous avons de plus en plus besoin d’une dimension explicative distanciée sur ces phénomènes. Avec les nombreux dossiers dans la presse et les livres sur l’islam, le bouddhisme ou le christianisme, le public est désormais bien informé. Parce que l’approche culturelle est privilégiée sur l’approche cultuelle.
Avant le pape François, il y eut une autre personnalité forte au Vatican : Jean-Paul II …
L’un et l’autre mettent en cohérence leurs paroles et leurs actes. Tous les deux possèdent une véritable dimension politique. Jean-Paul II a contribué à la chute du mur de Berlin et à la fin du communisme, le pape François tente de faire tomber le mur de la pauvreté et dénonce l’économie ultralibérale qui sépare les hommes et rejette les plus démunis. En tant qu’archevêque de Buenos Aires, il a connu en 2001 la faillite en Argentine. Il sait combien l’argent roi pervertit l’homme et la planète.
La starisation du pape vous agace ?
Je la constate. Cela démontre que son message dépasse le monde catholique. Quand le magazine Rolling Stone met le pape François en couverture en janvier dernier, ce n’est pas pour des raisons théologiques mais parce que, pour une fois, un pape ne condamne pas et refuse de juger ceux qui marchent hors des clous de la morale catholique. Cela a touché de nombreux croyants et surpris beaucoup d’incroyants. Le risque est de rester sur l’anecdotique sans chercher à comprendre le message spirituel qu’il y a derrière. Cela agace certains, mais on ne peut que constater que le pape touche le cœur des gens.
Ecrit-on toujours autant sur les religions ?
On écrit beaucoup plus aujourd’hui sur les religions. Il y a vingt ans, nous étions encore dans le cultuel. Les catholiques écrivaient pour les catholiques, les musulmans pour les musulmans, les juifs pour les juifs. On constate désormais une érosion massive du cultuel de type identitaire au profit du culturel et du spirituel. Dans les années 1990, une encyclique de Jean-Paul II pouvait se vendre à 400 000 exemplaires, aujourd’hui une encyclique de François peut en espérer 80 000. Il y a d’un côté un intérêt pour les religions comme phénomène culturel et de société, et d’un autre côté un engouement pour le message spirituel des religions plus que pour les dogmes. On le constate avec le succès des mystiques chrétiens, des soufis musulmans, de la kabbale juive ou des sagesses orientales. Concrètement, tout ce qui aide à vivre.
Ne constate-t-on pas le même phénomène en philosophie ?
Exactement. Pierre Hadot fut le premier à rappeler à quoi servait la philosophie grecque : aider à vivre ! Par la suite Marcel Conche, André Comte-Sponville, Michel Onfray, Luc Ferry, moi-même et quelques autres, avons fait le même chemin en quittant l’université pour écrire sur la philosophie comme sagesse qui conduit à la vie bonne. C’est ce qui explique le succès en librairie du Manuel d’Epictète, des Pensées de Marc Aurèle, des Essais de Montaigne, qui sont des livres qui aident à vivre.
Tous ces livres sur la spiritualité n’apaisent pourtant pas les tensions religieuses ?
En France, nous avons une histoire lourde avec la religion. La République s’est installée contre l’Eglise. Elle a toujours un peu peur que la religion régente les consciences. Pour les pays anglo-saxons, c’est l’inverse. La religion est comprise comme un ferment de la démocratie ; elle a joué historiquement un rôle émancipateur. En France, le principe de la laïcité sépare radicalement la religion du politique parce que nous avons gardé la mémoire d’une religion oppressive et nous voulons la cantonner à l’espace privé. Cela dit, même si la visibilité médiatique insiste sur les crispations identitaires et le communautarisme, la grande majorité des Français constate que les religions ne menacent en rien notre société.
Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent de donner dans le syncrétisme religieux ?
Je préfère les ponts aux murs. Le syncrétisme, c’est la confusion des cultures. Or je ne mélange pas, je montre ce qui rapproche dans la profondeur spirituelle au-delà des différences culturelles ou communautaristes. C’est aussi pour cela que certains catholiques sont mal à l’aise avec l’œcuménisme et le message parfois très universel du pape François qui vise à nous ouvrir aux autres plutôt qu’à nous replier sur nous-mêmes et sur nos certitudes.
Propos recueillis par L. L.
(1) François, le printemps de L’Evangile, Fayard, 180 p., 17 euros.