Entretien avec un empire

Frédéric Duval (Amazon) : « La lecture est une grande cause qui doit nous unir et non pas nous opposer »

Frédéric Duval, directeur général d'Amazon France - Photo Olivier Dion

Frédéric Duval (Amazon) : « La lecture est une grande cause qui doit nous unir et non pas nous opposer »

Entretien exclusif avec le directeur général d’Amazon France qui évoque le rôle de son entreprise sur le marché français du livre, son impact sur les librairies indépendantes, les préoccupations de la filière et la santé globale de l'industrie du livre dans l'Hexagone.

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Par Jacques Braunstein et Éric Dupuy, Photos Olivier Dion
Créé le 19.01.2025 à 17h00

Alors que les premières études de ventes de livres en France montrent un fléchissement du marché en 2024, Frédéric Duval, directeur général France d’Amazon, a accepté pour la première fois un entretien avec Livres Hebdo pour affirmer l’engagement de sa firme à faciliter l’accès à la lecture pour tous, à innover pour la diversité éditoriale et à respecter les régulations tout en maintenant une expérience client optimale. Lors de cet échange, le patron d’Amazon France a partagé sa vision sur le marché du livre d’occasion, l’intelligence artificielle ou encore la relation avec les librairies.

Livres Hebdo : Le marché du livre recule de 3 % en volume sur un an en 2024 mais reste en hausse en valeur par rapport à 2019, selon GfK. Comment analysez-vous ces données et percevez-vous chez Amazon ce fléchissement du marché ?

Frédéric Duval : Effectivement, en 2023 puis en 2024, les ventes de livres neufs en France ont diminué de 3 % en volume. Cela reflète une baisse générale de l’activité de lecture et du nombre de lecteurs de livres neufs, estimé aujourd’hui à 23 millions, soit 10% de moins en un an ! C’est un enjeu majeur qui doit nous unir tous, acteurs de la chaîne de valeur du livre, afin de contrecarrer cette tendance, et non pas nous diviser. Pour encourager la lecture, faciliter l’accès aux livres est essentiel. Cela implique plus de bibliothèques, de librairies, de rayons livres en grandes surfaces, mais aussi de s’appuyer davantage sur les atouts du numérique et du commerce en ligne.

« L'activité de la librairie s'est développée »

Le e-commerce de livres est critiqué pour mettre à mal le maillage de librairies sur le territoire, avec comme expérience les États-Unis ou le Royaume-Uni de moins en moins fournis en bookshops et des marchés qui s’effritent. Comment justifier le fait que votre croissance ne se fasse pas au détriment des librairies physiques ?

L’offre en ligne et celle des librairies physiques sont en vérité complémentaires. Aujourd’hui, un livre sur deux vendu par Amazon en France est expédié vers des zones rurales et des communes de moins de 10 000 habitants, c’est-à-dire vers des territoires qui sont le plus souvent dépourvus de librairie. Plus de 90 % des communes françaises n’ont pas de librairie quand Paris concentre 20 % des librairies françaises pour 3 % de la population. Depuis notre arrivée en France en l’an 2000, notre ambition a été de mettre les lecteurs sur un pied d’égalité et de faciliter l’accès aux livres de tous les Français, où qu’ils vivent. Concernant les librairies physiques, entre 2019 et 2023, il y a eu 574 créations de librairies en France. Cette dynamique dont je me réjouis et qui précède la mise en œuvre de la loi Darcos montre bien qu’il y a de la place pour tous les acteurs du livre.   

Vous avez récemment annoncé le retour de la livraison gratuite dans certains points de retrait, ce qui a suscité une vive polémique et la saisine du Médiateur du livre par la ministre de la Culture.

Les lecteurs bénéficient désormais de la livraison gratuite de livres dans plus de 2 500 points de retrait situés dans des magasins qui vendent des livres. Il s’agit en grande majorité de comptoirs et accueils de magasins, et plus de 70 % de ces points de retrait sont situés dans des petites villes et zones rurales. Il s’agit d’une initiative bénéfique pour la lecture, qui est conforme à la loi. D’ailleurs le retrait gratuit de livres achetés en ligne est une pratique qui existe déjà depuis longtemps chez d’autres acteurs importants du secteur.

Frédéric Duval Amazon France
Frédéric Duval, directeur général d'Amazon France photographié lors de son entretien avec Livres Hebdo- Photo OLIVIER DION

Est-ce une manière d’ajuster votre stratégie aux régulations qui ne vous semblent pas pertinentes ?
C’est une manière de faciliter l’accès aux livres et il y en a besoin. Un an après la mise en œuvre des frais de port obligatoires issus de la Loi Darcos, une étude de l’Ifop a par exemple montré que 4 acheteurs de livres sur 10 en France ont réduit leurs achats du fait de cette mesure ; avec un bénéfice très marginal pour les libraires : lorsque les lecteurs vont en point de vente physique pour échapper aux frais de port, ils privilégient massivement les grandes surfaces spécialisées, hyper et supermarchés. La loi Darcos a donc manqué sa cible.
En ce qui concerne la loi Lang, qui a permis aux débuts des années 1980 à tout le monde de vendre des livres, nous ne la remettons pas en cause, bien au contraire. C’est bien que la loi protège les acteurs de la filière mais il faut qu’elle protège aussi les lecteurs, car sans lecteurs, il n’y a plus de filière !  

« La solution pour le livre d'occasion ? Réduire l'écart de prix avec celui du neuf »

Si les libraires indépendants ne sont pas vos concurrents, qui sont-ils ?

Nous avons beaucoup de concurrents sur différents segments de marchés. Cela peut être la Fnac ou Leclerc, dans la distribution par exemple. Concernant les librairies, nous partageons une même passion même si nous ne faisons pas exactement le même métier !

Comment définissez-vous la place d’Amazon dans la chaîne du livre et quels métiers avez-vous autour du livre ?

Chaque mois, Amazon.fr expédie 300 000 titres différents à travers la France, ce qui permet une grande diversification de l’offre. Ce chiffre est à mettre en regard des capacités des librairies physiques, qui proposent pour les plus grandes jusqu’à 10 000 à 12 000 titres. Nous contribuons ainsi à rendre accessible l’ensemble de la création littéraire sur tout le territoire. Nous avons également investi depuis bientôt deux ans dans un service d’impression à la demande en France pour les éditeurs, petits éditeurs et pour l’autoédition. Chez Amazon en France, nos 24 000 salariés évoluent dans 400 métiers différents. La majorité des équipes sont dédiées à nos activités logistiques. Nous avons, sur les métiers du livre, par exemple, des acheteurs ou encore des équipes qui mettent en page les commandes éditeurs. 

Frédéric Duval Amazon France
Frédéric Duval à Livres Hebdo sur les libraires : « Nous partageons une même passion même si nous ne faisons pas exactement le même métier »- Photo OLIVIER DION

On comprend que vous vous fixez l’objectif de faire lire un maximum de public. Est-ce que la best-sellerisation du marché, que vous accompagnez grandement selon certains, va dans le sens d’élargir le nombre de lecteurs comme vous le prônez ?

Je n’invente rien en disant qu’il faut des best-sellers pour créer de l’engouement, mais il est également important d’avoir de la diversité. Il faut des prix littéraires, une rentrée littéraire mais également de plus petits éditeurs et de l’autoédition qui permettent de sortir de l’anonymat de nouveaux auteurs, comme Agnès Martin-Lugand et bien d’autres, qui sont passés par là. L’offre en ligne et le numérique, qui n’ont pas les contraintes de linéaires des magasins physiques, permettent de faire vivre cette diversité en donnant accès à des titres plus spécialisés ou anciens, ainsi qu’en offrant l’opportunité à des auteurs de se lancer et de trouver leur public via l’autoédition.   

Aujourd’hui le livre d’occasion dont le marché se stabilise depuis deux ans à près de 20 %, est perçu comme une menace à la création par les éditeurs et auteurs Quelle est votre stratégie vis-à-vis des livres d'occasion et de la rémunération des auteurs ?

Amazon ne vend pas directement de livres d'occasion, mais notre place de marché permet à des marchands tiers de proposer ce type de livres. Les livres d'occasion favorisent la lecture en offrant une alternative plus économique. Dans un contexte de recul de la lecture, c’est essentiel. D’après l’Ifop, pour 84 % des lecteurs cet achat plus économique leur permet de lire plus. Ne refaisons pas la même erreur qu’avec les frais de port obligatoires : taxer ces livres n’aurait qu’un impact négatif sur la lecture et sans surprise deux tiers des Français, toujours d’après l’Ifop, sont contre cette proposition.

« Nous sommes militants de l’apaisement et du travail commun pour faciliter l’accès aux livres »

Quel rôle joue l'intelligence artificielle (IA) dans la production et la diffusion des livres chez Amazon ?

L’IA est utilisée depuis longtemps pour analyser les commentaires clients, protéger nos boutiques des abus et de la fraude, et plus largement pour améliorer l’expérience client. Concernant les livres autoédités, nous exigeons que les auteurs nous signalent l’usage de l’IA. En cas de non-conformité avec nos politiques, leurs livres peuvent être retirés.

Quelle est votre vision de l’avenir pour Amazon France, notamment dans le secteur du livre ?

Amazon a tissé un lien fort avec les Français depuis plus de 20 ans. Nous restons concentrés sur l’expérience client. Cela veut dire pour nous continuer à proposer un large choix, des prix compétitifs, et des livraisons rapides. Dans le secteur du livre, nous continuons à promouvoir l’accès aux livres et la diversité éditoriale. Par exemple, notre imprimerie à la demande à Brétigny-sur-Orge permet d’imprimer des ouvrages épuisés ou autoédités, réduisant ainsi le gaspillage et favorisant l’accès à une littérature variée.

L’interprofession a fait un grand pas vers la transparence avec le lancement du projet Fileas de partage des données de ventes. Cette transparence est appelée par certains pour optimiser la répartition de la valeur du marché, alors que les chiffres de la vente en ligne sont encore agrégés à ceux des librairies de deuxième niveau. Qu’en pensez-vous ?

Nous sommes militants de l’apaisement et du travail commun pour faciliter l’accès aux livres. Le ministère de la Culture a partagé ses chiffres montrant que plus de 28% de la distribution de livres est faite par les GSS, près de 24% les libraires, 22% internet et 18% les grandes surfaces… Amazon est une partie des ventes d’Internet.

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