Sauter une classe. Rentrée 2020 : La petite dernière (Noir sur Blanc) s'imposait en saisissant le quotidien de Fatima, banlieusarde née en France dans une famille algérienne, musulmane pratiquante, lesbienne, polyamoureuse. Une identité morcelée à laquelle ce premier roman de Fatima Daas donnait forme, vie, consistance, cohérence. Dans son très attendu deuxième roman, Jouer le jeu, l'autrice campe une héroïne elle aussi en quête de son identité, que de bons résultats scolaires vont lui offrir de réinventer. Élève de seconde dans un établissement en réseau d'éducation prioritaire, Kayden aime écrire, comme elle l'indique sur la fiche de renseignements distribuée en début d'année. Bientôt, sa professeure de littérature, Mme Fontaine, la range dans la première catégorie de son classement très personnel faisant le tri entre « élèves brillants », « dormeurs » et « fouteurs de merde qu'elle sortira sans se fatiguer ». Elle se met en tête de lui faire intégrer Sciences Po. « Sciences Poules, attention, tu changes toi ! », lui lance son amie Djenna. Kayden doute, « elle ne veut pas déranger ». Mais si Garance Fontaine lui dit qu'elle croit en elle, ne pourrait-elle lui faire confiance ?
D'autant que la professeure exerce une étrange attraction sur elle. En sa présence, Kayden a des « mots plein la gorge » qu'elle n'ose faire sortir autrement que dans les SMS qu'elle lui envoie en cachette. Pas évident quand on partage sa chambre avec sa sœur aînée, quand la mère déplie chaque soir un canapé clic-clac dans le salon cuisine. « Je rêve qu'elle ait une chambre à elle, ma mère », écrit Kayden. Intégrer une grande école lui permettrait-il d'exaucer ce souhait ?
Récit d'apprentissages - du genre, de la sexualité, de « ce que ça veut dire, kiffer sa vie » -, Jouer le jeu ravive l'urgence de dire de La petite dernière. Chaque mot agit comme le détonateur potentiel d'une bascule dans l'existence de Kayden, à cet âge où toutes les portes semblent ouvertes mais sans que l'on sache laquelle franchir, ignorant qui on est, ce qu'on veut pour soi, pour son avenir. À l'urgence répond la bienveillance d'une bande d'amis qui apprennent à reconnaître des rimes embrassées puis s'enlacent sur les paroles d'I Will Always Love You un soir de 31 décembre. À la bienveillance s'oppose la rigidité d'un système qui n'est pas prêt à satisfaire toutes les ambitions. Ce second roman est à la hauteur de celle de Fatima Daas : raconter ce que cela implique que de vouloir jouer le jeu sans en connaître les règles, sans qu'elles nous aient été données.
Jouer le jeu
Éditions de l'Olivier
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 20 € ; 192 p.
ISBN: 9782823622546