Quatre ans après son départ à la retraite, Evelyne Guyot s'est éteinte le 6 septembre dernier, laissant chez Albin Michel où elle a passé 38 ans de carrière, un catalogue fourni de 750 ouvrages pour la jeunesse mais également une marque indélébile. Ses anciens collègues ont tenu à lui rendre hommage, « parce qu’il nous importe que les petites mains soient reconnues et que leur travail, au sein du collectif d’une maison d’édition puisse être valorisé », a fait part à Livres Hebdo Lucette Savier, éditrice d'Albin Michel jeunesse, également en retraite. « Nous avons tenu à mettre en lumière quelques-unes des productions remarquables d'Evelyne Guyot », écrit-elle. Nous publions le texte hommage en intégralité retraçant la carrière de l'éditrice décédée à l'âge de 74 ans.
Il est des éditeurs, des éditrices en littérature et surtout en littérature jeunesse qui discrètement font des livres marquants et qui restent inconnus du grand public.
Nous, sa famille, ses ami·es, ses collègues d’Albin Michel souhaitons, alors qu’elle vient de mourir d’une fulgurante maladie, rendre hommage à Evelyne Guyot.
Evelyne, après des études d’architecture, passe quelques années dans la restauration à Ibiza, puis dans une agence d’architecture, et rejoint en 1981 Albin Michel où elle devient très vite éditrice jeunesse en charge des achats des albums étrangers.
Avec Hervé et Claude Lauriot-Prévost, nouvellement nommés pour relancer le secteur jeunesse, qui avait été arrêté après-guerre, Evelyne commence une carrière intuitive et passionnée dans un domaine où l’imagination, l’inventivité et l’efficacité doivent aller droit au cœur.
Les deux fondateurs d’Albin Michel Jeunesse partent en 1987 développer Ouest-France Jeunesse où ils publieront les premiers titres de Lucy Cousins, Mimi va dormir et Mimi va nager, honorés dès leur parution à la foire internationale du livre pour enfants de Bologne.
En 1988, Jacques Binsztok prend la direction du département avec la mission de développer la fiction. Les livres animés, grâce à Evelyne Guyot, sont mis à l’honneur, notamment ceux de David Carter (Mandarine, Les Petites Bêtes) et de Janet et Allan Ahlberg (Le Gentil Facteur) et deviennent des incontournables du catalogue.
Pop-up novateur
À la cessation d’Ouest-France Jeunesse, Lucy Cousins est accueillie par Evelyne Guyot en 1993 chez Albin ; elle en devient une autrice phare et les albums de son héroïne Mimi se vendent à plus de 2,5 millions d’exemplaires.
Après différents changements, c’est Marion Jablonski qui à partir de 1997 dirige Albin Michel Jeunesse auquel s’est ajouté la BD.
Evelyne Guyot continue avec persévérance sa recherche d’histoires étonnantes, de réédition de classiques comme Richard Scarry ou de principes de livres animés audacieux.
David Carter et David Pelham, qui avec Robert Sabuda révolutionnent le domaine du pop-up contemporain, intègrent ainsi les succès d’Evelyne Guyot. C’est en 2007 qu’elle repère un livre d’artiste de Marion Bataille ; elle mettra toute sa verve, son humour et son engagement pour que paraisse l’année suivante l’incroyable ABC 3D. « Un des pop-ups les plus fabuleux et novateurs que j'aie jamais vu » dira Sabuda à propos de ce livre exceptionnel où les 26 lettres de l’alphabet en trois dimensions, bougent et se transforment sous nos yeux.
Parallèlement, Evelyne constitue petit à petit, au gré des foires et des salons spécialisés une collection personnelle de pop-ups de plus de 750 titres, digne d’un musée.
Innombrables sont les albums qu’elle a su dénicher à l’étranger et qui ont dessiné une ligne éditoriale singulière chez Albin Michel ; dynamiques et fantaisistes ont été ses présentations et sa façon de convaincre le comité éditorial de publier ses trouvailles ou coups de cœur ; et toujours généreuses ont été son envie de transmettre ainsi que son écoute auprès des jeunes stagiaires travaillant chez Albin Michel.
En retraite depuis 2019, on ne voyait plus sa longue silhouette nonchalante arpenter les allées des foires du livre de Francfort ou de Bologne, on n’entendait plus ses blagues absurdes ou irrésistibles qui réjouissaient ses alter ego, on ne la croisait plus trinquant aux prix et aux récompenses des artistes qu’elle suivait avec fidélité.
Quand elle n’était pas en Bretagne ou à Valencia chez son fils, son œil ironique et curieux continuait d’observer, en librairie parisienne, la production de ses confrères et consœurs ; et c’est avec une fougue inchangée qu’Evelyne commentait le domaine des livres jeunesse qui a tant accaparé son temps, son énergie, sa vie.
Nous savons ce que nous lui devons, professionnellement et humainement.