Éric Baratay (université de Lyon 3) est un historien des animaux. Autrement dit, il les a fait entrer dans l'histoire. Il a commencé il y a vingt-cinq ans par le taureau des corridas pour en venir aujourd'hui aux chats. On les apprécie tellement qu'on leur accorde le pouvoir de regarder d'autres mondes et ce n'est pas un hasard si le physicien Schrödinger a choisi un chat, à la fois vivant et mort dans son expérience de pensée, pour montrer les paradoxes de la théorie quantique. Le chat se révèle d'une richesse inouïe pour parler des hommes.

Pour cette promenade féline, Éric Baratay demande à ses lecteurs de renoncer à la figure du « Chat Éternel » pour aborder le chat historique. En utilisant l'italique, le romain, le centré ou le décentré il adopte des dispositions différentes dans ses paragraphes pour évoquer les chats, les humains, le contexte historique et les éléments scientifiques. Il utilise des jeux typographiques pour mettre en valeur les caractéristiques comportementales des minous qui « tournoreillent », « palpinarinent », « palpattent » ou « pupillent ».

Dans ses Cultures félines, il nous propose moins des tranches de vies comme dans les Biographies animales (Seuil, 2017) que des portraits de mistigris qui renvoient à leurs maîtres. Paul Léautaud évidemment, lui-même vieux matou et sa tribu des gouttières, Pierre Loti, le marin et sa Moumoutte Blanche, Athénaïs Michelet, la seconde femme de l'historien, observant les exploits de Bibiche, le Pierrot de Théophile Gautier et beaucoup d'autres.

Sur trois siècles, Éric Baratay met en évidence l'évolution de nos rapports aux chats. Plus que d'autres, ils agissent comme une sorte de miroir paresseux qui réfléchit sans même y penser, révélant notre relation compliquée à l'animalité. Il souligne que les chats changent d'attitude au contact des salons et des intérieurs douillets. « À force d'adaptations épigénétiques, voire génétiques par sélection, les chats pourraient s'habituer à des situations actuellement productrices de stress. » Des attitudes qui pourraient conduire à ce qu'Éric Baratay appelle des « chatchiens », des chats de plus en plus semblables aux chiens auxquels il ne manquerait que la laisse. Nulle trace d'alarmisme pourtant ou de nostalgie dans cette évolution du chat urbain qui ressent le stress humain à la place de celui qui était le sien lorsqu'il fouillait dehors dans les poubelles au risque de prendre un mauvais coup.

La mise en évidence de ces « cultures félines » qui fonctionnent sur la sélection et la construction aide à comprendre notre propre relation au vivant. « Ces cultures construites sont des phénomènes à plusieurs dimensions liées, biologique, psychologique, sociale, culturelle, historique. » Ce livre d'histoire sur le plus littéraire et le plus populaire des animaux domestiques circule prudemment dans les savoirs, passe de l'éthologie à l'ethnologie en frôlant les concepts, et observe les chats pour mieux se saisir de ceux qui les observent. Un livre tout en souplesse et très malin dans sa conception, assez félin finalement.

Éric Baratay
Cultures félines (XVIIIe-XXIe siècle)
Seuil
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 23 € ; 336 p.
ISBN: 9782021410082

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