L'évolution rapide et toujours plus fine des besoins des maisons d'édition crée les conditions d'une concurrence accrue entre les éditeurs de logiciels. En réponse, ces derniers n'ont d'autre choix que de revoir massivement leur offre et de développer de nouvelles fonctionnalités. Tout les y pousse : explosion des plateformes numériques, multiplication des canaux d'utilisation, prise en compte d'un nombre toujours plus élevé de variables dans les contrats d'auteur (garanties, territoires, taux de redevance, hiérarchie entre ayants droit...), mais aussi obligation prochaine de reddition semestrielle des comptes, sans parler du développement en cours du booktracking, l'outil de suivi des ventes en temps réel proposé par le Syndicat national de l'édition qui pourrait révolutionner la méthode de calcul des droits.
À l'échelle d'un groupe comme d'une petite structure, les besoins fondamentaux d'un éditeur sont certes identiques : la gestion des contrats, la tenue des comptes d'auteurs, l'enregistrement des droits annexes (Sofia, CFC, cessions de droits...) ou encore la déclaration Urssaf et la génération du fichier DIF constituent le point de départ de toute suite logicielle sérieuse. Les différences se jouent sur le degré de complexité requis par chaque client-éditeur. « Il y a près de 400 variables dans le calcul des droits d'un auteur, alimentées par des sources très différentes comme les droits forfaitaires, les droits à l'image ou encore les contrats de cession, souligne Jean-Marc Satta, directeur France/Europe de Fadel, principal acteur du marché dans l'Hexagone. Notre enjeu est de rendre ces complexités simples pour l'utilisateur. » « Les éditeurs doivent passer le moins de temps possible sur la reddition de comptes, tout en ayant une compréhension claire de ce que cela implique pour eux », abonde Phi-Anh Nguyen, fondateur de LaBase Labs. Installée en Indre-et-Loire, l'entreprise déploie une solution LaBase Royalties utilisée par une trentaine de maisons (Oxymore, Gallmeister, Le Tripode...).
En 2024, nombre de logiciels s'enrichissent ainsi de nouvelles fonctionnalités. Acteur historique du marché, 2Dcom décline par exemple sa solution In Quarto en une version Cloud Essentiel destinée aux petites maisons d'édition, en remplacement de son logiciel Edigest. L'entreprise lance également un espace auteurs. Fadel permettra bientôt de verser des avances aux auteurs sur plusieurs contrats et facilitera les transitions de soldes en cas d'ajout de nouveaux bénéficiaires. De son côté, LaBase Royalties évolue progressivement vers un ERP complet avec tableaux de bord, export d'écritures comptables ou encore gestion de la prospection.
Un pure player des droits d'auteur
Dernière venue sur le marché, la start-up Crealo n'est pas la moins ambitieuse. Cofondée en 2021 par Mohammed Belghiti et Najlae Zeitouni, elle se définit comme « un pure player des droits d'auteur » et réalise 90 % de son activité dans le livre. « La problématique des droits d'auteur est commune à plusieurs verticales de l'industrie créative, notamment la presse, les studios d'art, les labels de musique, la production audiovisuelle et les jeux de société », précise Mohammed Belghiti. Crealo, qui revendique à ce jour une centaine d'éditeurs clients, a déployé un espace auteurs en mars 2023 et a récemment lancé un nouveau service à tarif réduit réservé aux petits éditeurs. Pour son développement, l'entreprise a aussi procédé fin 2023 à une levée de fonds d'1,3 million d'euros auprès d'investisseurs parmi lesquels figurent Kima Ventures, Evolem, Super Capital ou encore 212 founders by CDG.
Tous ces investissements créent de nouveaux rapports de force entre les éditeurs de logiciels. Kolibris, appli éditée par Altima Gestion, signale par exemple une hausse de 30 % du nombre d'éditeurs ayant choisi sa solution en 2023. « Nous constatons une diversité des activités et fonctionnalités, orientées vers la gestion des droits dans les domaines de l'audio et de l'image », confie Jean-Christophe Jullian, le gérant. En 2023, outre l'intégration des adaptations réglementaires, Kolibris a amélioré le suivi des différents mouvements de stocks des éditions imprimées de ses clients. Très présent à l'international, l'allemand KNK a, pour sa part, noué en 2022 un partenariat avec le groupe AC Media (Ki-oon, Mana Books, Lumen) en l'équipant de son logiciel ERP intégré. Au-delà des droits d'auteur, la solution KNK est pensée dans une optique large ; elle fournit aussi les services éditorial, marketing, contrats, fabrication et comptabilité. De son côté, LaBase compte parmi ses nouveaux clients en 2024 le groupe Libella, anciennement chez l'allemand Klopotek. Enfin, il est à noter que Fadel ambitionne d'élargir son audience auprès de maisons de taille intermédiaire. Un véritable challenge pour ce spécialiste des grands comptes, et qui passera par « la création d'une offre packagée avec un paramétrage standard permettant de réduire les coûts », annonce Jean-Marc Satta.
Parts de marché
La structuration du marché des logiciels de gestion des droits d'auteur est relativement récente : une large part des solutions opérant en France ont moins de dix ans d'ancienneté. Le leader, l'américain Fadel, qui équipe les groupes Hachette Livre, Editis et Média-Participations, n'est ainsi arrivé qu'en 2020. L'entreprise déploie sa solution de licence de bout en bout basée sur le cloud IPM Suite Publishing Edition et est aussi un acteur majeur de la gestion des droits d'utilisation des contenus marketing. Autres nouveaux venus, Crealo (2021), Kolibris (2018) et l'allemand KNK (implanté en France depuis 2018) se sont fait une place sur un marché où opèrent des acteurs plus anciens comme l'allemand Klopotek, partenaire historique du groupe Albin Michel et le géant des applications d'entreprise SAP, qui équipe Flammarion depuis près de vingt ans. De leur côté, 2Dcom (fondé en 1998), LaBase Royalties (2007) ou encore De Laroussilhe Informatique (1986) travaillent surtout pour le compte d'éditeurs indépendants.