Le printemps serait-il en train de se transformer en troisième "rentrée littéraire"? La question commence à tarauder, voire agacer, certains libraires confrontés, entre avril et mai, à un afflux massif de nouveautés deux mois à peine après avoir digéré la production de janvier. Dès la fin mars, ils voient débarquer sur leurs tables les lectures d’été, un ensemble hétéroclite et bigarré chargé d’occuper les meilleures ventes jusqu’à la mi-août et qui mêle tout à la fois grands noms habitués des meilleures ventes, auteurs phares de la littérature et du roman policier, romans d’évasion censés emporter le lecteur pendant ses vacances, premiers romans ou auteurs moins connus tenus de jouer les "bonnes surprises" et feel-good books, un genre qui, en quelques années, s’est imposé comme le roman d’été par excellence.
Après une exception en 2017 où les éditeurs n’ont pas voulu plonger leurs valeurs sûres dans le marasme post-électoral et ont préféré jouer la carte des outsiders, cette production printanière revient en force cette année. Les très installés Guillaume Musso, Marc Levy, Grégoire Delacourt, Katherine Pancol, Tatiana de Rosnay ou Laurent Gounelle coudoient Joël Dicker, Philippe Claudel, Jean-Christophe Rufin, Jean Teulé ou David Foenkinos. Ils doivent également ferrailler avec les papesses du roman qui fait du bien, Virginie Grimaldi, Agnès Ledig, Agnès Martin-Lugand et Aurélie Valognes, toutes envoyées à l’assaut des lecteurs entre mars et début mai. Sans oublier les incontournables du roman policier, comme Harlan Coben, John le Carré ou, côté français, Bernard Minier et Maxime Chattam, et les éventuelles bonnes surprises comme La nouvelle vie de Kate Reddy, une comédie sociale que le Cherche Midi espère bien installer dans les meilleures ventes.
Se frayer un chemin
Ce plateau dense et particulièrement encombré n’effraie pourtant pas de nouveaux venus. Début mai, Le Tripode publie Roulio fauche le poil, un roman "qui colle à l’idée que l’on se fait d’un livre d’été, c’est-à-dire accessible et qui peut plaire au plus grand nombre", indique Geoffrey Durand, responsable des relations presse de la maison. Ce segment est exploré également par Stock, qui vient d’accueillir l’éditrice Caroline Laurent dont le premier livre, Juliette de Saint-Tropez de Valentin Spitz, est paru en mai. Même la "Série noire" de Gallimard colore de rose le dernier polar de Marin Ledun, qui livre dans Salut à toi ô mon frère, paru le 3 mai, une comédie policière mettant en scène une tribu déglinguée et sympathique.
Il reste que pour se frayer un chemin jusqu’aux lecteurs et leur donner envie d’acheter cette production, éditeurs et libraires diversifient, depuis quelques années, les actions de communication, n’hésitant plus à les prolonger jusqu’en juillet et août, une période pourtant estimée peu propice à la promotion. Persuadé, quand il s’est installé, "que la seule présence des touristes suffisait pour porter les ventes", Stéphan Rocton, propriétaire de la Librairie des pertuis et de La Pêche aux livres, à Oléron, a constaté une différence dès qu’il a mis en place un programme d’animations estivales. "Mais nous avons été très vite confrontés à un problème. Les touristes ne sont pas là pour la culture, et les capter par des animations traditionnelles relève de la gageure." Depuis deux ans, il s’efforce donc de trouver des biais et de varier les approches, notamment en s’éloignant du livre, pour amener les vacanciers à pousser sa porte (page 60).
D’autres s’appuient sur de grandes opérations nationales comme Partir en livre, pour porter le livre au plus près du public, sur des lieux insolites ou touristiques (page 61). Une démarche qu’adoptent également de plus en plus d’éditeurs, qui choisissent de se déplacer et d’apporter directement leur production sur les plages françaises grâce, notamment, à des dispositifs ambulants. Mais ces actions sont encore réservées à "des marchés de masse et de grande consommation comme le poche, où il est plus facile de tester des formules innovantes que sur du grand format", avertit Nicolas Watrin, directeur marketing de Flammarion. Même si le gros des budgets demeure consacré à des opérations traditionnelles, telles que des campagnes de presse, d’affichage en gare ou du webmarketing sur les réseaux sociaux, il reste "encore beaucoup de choses à développer sur cette période estivale pour sortir des sentiers battus et porter de manière différente et attractive le livre au lecteur", soutient Bénédicte Gimenez, chargée des relations libraires chez Univers Poche. Livres Hebdo dégage dix pistes originales pour faire lire en été.