Comme toujours après une refonte des programmes, le marché des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) a connu une hausse de son activité à l’occasion de la rentrée 2013. L’ensemble des éditeurs a profité de l’effet de nouveauté, qu’il s’agisse des prépas scientifiques (environ 40 000 élèves sur les deux années) ou commerciales (16 000 étudiants). Les acteurs s’étaient engagés dans une course effrénée afin de proposer le plus tôt possible leurs ouvrages à des étudiants avides de préparer leur rentrée et privés d’ouvrages d’occasion. A ce petit jeu, c’est Ellipses qui a viré en tête. L’éditeur, déjà solide leader du marché, a confirmé sa première place en déployant très tôt une offre large couvrant à la fois les filières majeures et les segments de niche.
"Le bilan est excellent pour nous, se félicite Manon Savoye, responsable éditoriale d’Ellipses. Ce sont nos collections les plus récentes, "Prépa sciences" et "24 jours…", qui ont le mieux fonctionné, mais l’ensemble de nos collections historiques s’est également bien comporté." Pour le directeur de Gibert Jeune, Philippe Bufferne, la "place prépondérante" occupée par Ellipses dans les ventes s’explique par le fait qu’"ils étaient prêts avant leurs concurrents. Cela a beaucoup contribué à leur succès, estime-t-il. Pour la rentrée 2014, les cartes devraient en partie être rebattues."
Au demeurant, tous les acteurs du secteur ont retrouvé de bons niveaux de vente grâce à la réforme des programmes, sans pour autant constater un regain d’activité exceptionnel. "Par rapport à 2012, qui est la dernière année précédant la réforme, nous avons progressé de 300 %, observe Emmanuel Leclerc, directeur éditorial chez Lavoisier. Mais ce chiffre n’a pas grand sens en lui-même. Il faut comparer les ventes de 2013 à l’année de lancement de nos dernières nouvelles éditions en 2009. Alors on s’aperçoit que les résultats sont plutôt stables." "J’ai l’impression que l’effet réforme n’a pas été aussi fort que les fois précédentes, estime pour sa part Eric d’Engenières, directeur éditorial chez Dunod. Les classes prépas sont de moins en moins le marché de l’angoisse. Il y a assez peu de prescription en général dans le monde scientifique. Les élèves sont très bien préparés par d’excellents profs et beaucoup d’entre eux n’achètent pas ou peu de livres."
La segmentation des filières, accrue par la réforme, réduit aussi la taille des marchés pour chaque ouvrage. "Avant, en fonction des matières, il était possible de procéder à des regroupements pour certaines disciplines. Ce n’est plus possible aujourd’hui si on veut proposer un livre conforme aux programmes", poursuit Eric d’Engenières. "La segmentation est fine ; il y a beaucoup de différences entre les programmes de 1re année et de 2e année, et il y a aussi un grand nombre de filières. Cela implique de sortir autant de titres adaptés", renchérit Manon Savoye, chez Ellipses. D’où un certain éclatement du marché et des tirages plus modestes qui ne font pas toujours les affaires des éditeurs.
Préférence pour le tout-en-un
Certes, les étudiants de CPGE restent de gros acheteurs en comparaison du public inscrit à l’université, mais ils se montrent aussi de plus en plus sélectifs dans leurs choix. Ils affichent nettement leur préférence pour le format des tout-en-un comprenant un cours complet, des fiches de synthèse pour préparer les épreuves et beaucoup d’exercices d’application intégralement corrigés. "Il y a quinze ans, les contenus étaient beaucoup plus variés. Maintenant la grande majorité des élèves achète de gros ouvrages tout-en-un par matière ou par filière. Par exemple, on ne sépare plus l’analyse et l’algèbre. Ces matières sont traitées conjointement dans un ouvrage de mathématiques qui est ensuite décliné par séries", explique François Cohen, directeur de Vuibert. La maison a profité de la réforme des programmes pour investir un marché des prépas dont elle était jusqu’à présent absente (lire p. 60) et a logiquement opté pour le format tout-en-un.
Chez Dunod, les prépas sont entièrement traitées dans la grande collection "J’intègre". En vue de la rentrée des élèves de 2e année, la production de l’éditeur atteindra une vingtaine de titres, dans la continuité de la 1re année. De la même façon, Pearson a remis à jour sa collection "Cap prépa", avec un effort particulier en direction des filières scientifiques. L’éditeur annonce notamment pour la fin de mai la publication de 4 tout-en-un de physique couvrant l’ensemble des filières sous forme d’exercices corrigés. Certains titres, comme Physique PSI-PSI*, sont par ailleurs enrichis d’une version numérique eText.
Chez Lavoisier, les collections "Compétences prépas" et "Performance concours" ont été entièrement revues à l’occasion de la réforme, avec au total une vingtaine de nouveautés ou nouvelles éditions. 2014 sera plus riche encore, avec une salve de 24 titres d’ici à cet été pour couvrir la 2e année. "Ce sont les mêmes matières, mais il y a des filières supplémentaires et cela implique de publier davantage", décrypte Emmanuel Leclerc. Hormis quelques ouvrages de mathématiques arrivés en retard, l’éditeur était plutôt dans les délais au moment d’investir les librairies à la dernière rentrée. Son activité a été davantage portée par les livres de "Performance concours", riches en méthodes, synthèses de cours et exercices corrigés.
Rien qu’en sciences, Ellipses propose 18 nouveautés pour la rentrée 2014, complétées par quelques ouvrages de 1re année qui avaient manqué le coche en 2013. En "Prépa sciences" et "24 jours…" surtout, mais aussi dans ses collections "Phare", "Méthodix" ou "Les mille et une questions". L’effort de production est tout aussi important en ce qui concerne les classes prépas commerciales et littéraires, même si ces dernières pèsent d’un poids plus marginal en termes de ventes en raison du petit nombre d’étudiants concernés. "Le public des classes prépas littéraires utilise davantage les sources premières, mais a aussi besoin d’ouvrages. En tant qu’éditeur de référence, il est important qu’Ellipses soit représenté, même si les ventes sont plus modestes", souligne Manon Savoye. La collection "Cultures antiques", par exemple, permet à l’éditeur de tirer son épingle du jeu sur la niche des prépas littéraires.
Surtout implanté dans l’univers des tests d’aptitude, où il a encore lancé en octobre une nouvelle petite collection "Bloc tests", Foucher se concentre sur quelques matières stratégiques, aussi bien en prépas scientifiques que commerciales. Après avoir publié Sciences industrielles pour l’ingénieur : classes préparatoires 1re année en août dernier, il annonce le tome 2 pour juillet prochain. Foucher publiera aussi le 14 mai une nouvelle édition de Réussir l’épreuve d’histoire-géographie géopolitique du monde contemporain - ECS. "C’est un tout-en-un qui couvre les deux années de la prépa, souligne Marilyse Vérité, responsable éditoriale enseignement supérieur et développement numérique chez Foucher. Il a été refondu à 100 %, propose de nouveaux exercices et comprend beaucoup de cartes."
En prépa commerciale, l’épreuve d’histoire-géographie et géopolitique du monde contemporain est un incontournable pour l’ensemble des acteurs. Nathan s’y affirme comme le leader incontesté. "Nous détenons 57 % de parts de marché sur cette épreuve, en progression de 15 points par rapport à l’année précédente", revendique Charles Bimbenet, directeur du département technique Nathan. Pour la rentrée 2013, l’éditeur a publié deux nouveautés en 1re année de prépa ECS : Les grandes mutations du monde au XXe siècle et Mondialisation contemporaine, rapports de force et enjeux. L’éditeur s’appuie aussi sur quelques titres de référence comme Géopolitique du monde contemporain ou La France. Ce dernier manuel est surtout destiné aux prépas littéraires, mais "fonctionne aussi en éco, assure Charles Bimbenet. Nous l’actualisons cette année, il est aussi recommandé pour l’agrégation et le Capes". Pour la 2e année des prépas commerciales, l’éditeur annonce la parution au printemps de nouvelles éditions de ses titres consacrés aux quatre grandes zones continentales (Europe, Asie, Amériques, Afrique). "C’est une gageure car ces ouvrages sont très denses et proposent des contenus qui évoluent à toute vitesse", souligne Séverine Martineau, directrice éditoriale adjointe chez Sejer-Nathan.
Mises à jour numériques
Outre son tout-en-un, Foucher s’appuie aussi sur Toute l’actu, mis à jour annuellement et qui "se vend très bien", assure Marilyse Vérité. L’éditeur joue la carte du numérique puisqu’il propose tous les mois sur son site une mise à jour de l’ouvrage. Aux Puf, la géopolitique occupe également une place centrale au sein de la collection "Major", dirigée par Pascal Gauchon. Un titre sur le Japon est annoncé pour la rentrée et des ouvrages consacrés à l’Afrique du Sud et l’Iran d’ici à l’année prochaine. "Nous sortons des tirages moyens de 3 000 à 4 000 exemplaires, révèle Pascal Gauchon. Cela se joue ensuite sur les rééditions." De manière plus large, des titres comme Leçons particulières de culture générale, Précis d’économie et Le siècle des excès continuent de trouver leur public dans la collection "Major", y compris dans d’autres filières que les seules ECS/ECE/ECT. Studyrama annonce pour sa part un Manuel de géopolitique pour juin. L’éditeur, qui a racheté Bréal à la fin de l’année dernière, maintient l’activité de sa nouvelle acquisition sous sa propre marque.
Ellipses répond également présent avec une série d’ouvrages couvrant les principales aires géographiques et aborde l’épreuve de cartographie des prépas commerciales dans Cartes en main. Nathan se positionne sur ce dernier segment en publiant en août prochain La cartographie aux concours des grandes écoles. "Les enseignants réclamaient ce titre, nous traitons du monde entier dans un petit volume avec un prix attractif", indique Séverine Martineau. En prépa ECE, Nathan s’appuie également sur le tout-en-un Economie aux concours des grandes écoles, dirigé par Claude-Danièle Echaudemaison. Disponible en livre nomade, l’ouvrage couvre les deux années de prépa et propose également des contenus additionnels exclusivement numériques. "Quatre modules de macro- et microéconomie correspondant à une option en prépa ECE sont disponibles uniquement en ligne. Cela permet de ne pas alourdir inutilement le livre papier", explique Charles Bimbenet. Cette expérience a eu un impact positif sur les ventes de l’ouvrage physique, affirme-t-on chez Nathan. Elle a aussi eu pour effet de voir les élèves concernés par ces matières optionnelles réclamer un livre papier spécifique, que Nathan a fini par imprimer. "Cette expérience éditoriale est intéressante. Elle prouve que les contenus numériques dynamisent la demande de contenus papier", analyse Séverine Martineau.
Autre marché phare des CPGE, les épreuves de français-philosophie en prépa scientifique, et de culture générale en prépa économique mobilisent toujours autant les éditeurs. Flammarion est bien représenté via ses poches Garnier-Flammarion, et Gallimard via Folio. Chez Sauramps, à Montpellier, le directeur Alain Panaget signale les bonnes performances de petits éditeurs comme Atlande ou H & K. "Armand Colin, Dunod, Ellipses, ou encore Vuibert qui arrivait pour la première fois cette année, ont également tous trouvé leur public", ajoute-t-il.
Le segment de l’anglais est tout aussi âprement disputé. Ellipses a publié deux versions d’English text book pour la dernière rentrée. L’une pour les prépas scientifiques et l’autre pour les prépas commerciales. Dans "Optimum", l’éditeur propose également plusieurs "livres phares" préparant à l’entrée de Sciences po. De son côté, Nathan s’appuie depuis 2007 sur la collection "The guide", régulièrement enrichie de nouveautés consacrées à la culture anglaise, au vocabulaire ou encore à la prononciation. Le dernier opus paraîtra le 12 juin et s’intitule Art guide. La publication du Bled anglais études supérieures offre à Hachette Supérieur une position solide sur le marché des langues. Mais l’éditeur s’intéresse aussi à de nouveaux marchés. En février 2013, il a publié Anglaise3a Centrale supélec, d’après le nom de la plus grosse banque d’épreuves concernée par une nouvelle épreuve de synthèse de documents.
Concentrations et nouveaux acteurs
Le rachat de Bréal, l’arrimage d’Armand Colin à Dunod et l’entrée en lice de Vuibert et de De Boeck modifient le paysage de l’édition dédiée aux classes prépas.
La réforme des programmes des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) donne des idées aux éditeurs. Si Ellipses, Dunod et Lavoisier continuent de dominer le marché des filières scientifiques, plusieurs éditeurs ont également profité de la ruée vers les nouveautés pour investir le marché. Une opportunité d’autant plus intéressante pour les entrants que d’autres éditeurs, à l’instar d’Hachette Supérieur, qui n’a rien publié de neuf en sciences à l’occasion de la rentrée 2013, lèvent le pied sur une partie de leur production. "Nous nous laissons un temps de réflexion sur les matières scientifiques et mettons plutôt l’accent sur les épreuves de langue et de culture générale", explique Julie Pelpel-Moulian, responsable éditoriale chez Hachette Supérieur.
Très implanté sur le marché des concours, Vuibert a inauguré pour la rentrée 2013 la collection "Vuibert prépas", comprenant sept tout-en-un destinés aux élèves de première année de prépa scientifique. Le directeur éditorial de la maison, François Cohen, tire un bilan positif de ce lancement, même si quelques livres sont parus en retard sur les prévisions, en janvier pour les derniers. "Certains titres ont raté le gros des ventes à la rentrée, mais ils se rattrapent actuellement avec de bons réassorts, notamment en physique. Notre ouvrage dédié aux sciences de l’ingénieur, qui est sorti dans les temps, a quant à lui obtenu de très bons résultats avec près de 2 000 exemplaires vendus." L’éditeur avait ouvert le feu avec la sortie en juin 2013 d’un titre dédié à l’épreuve littéraire des prépas scientifiques et proposant un résumé et l’analyse des trois œuvres au programme.
Pour la rentrée 2014, Vuibert s’attaque à la deuxième année de prépa scientifique avec trois titres à paraître dès le mois de juillet (Maths MP-MP*, Maths PC-PC*, PSI-PSI*, PT-PT* et Sciences industrielles de l’ingénieur MP-MP*, PSI-PSI*, PT-PT*). D’autres suivront.
De la même façon, De Boeck se renforce sur la prépa scientifique. Son offre se résumait jusqu’à présent à deux titres, remis à jour pour la rentrée 2013, qui ont été complétés par deux nouveautés : Analyse et Algèbre, tous deux destinés aux filières MPSI-PCSI. "Les volumes de ventes sont encore modestes, avec 700 exemplaires par titre en moyenne, mais nous misons sur la qualité et prenons le temps de nous faire connaître des professeurs en vue d’obtenir une prescription plus forte à moyen terme, explique Fabrice Chrétien, éditeur sciences-technique-médecine chez De Boeck. Pour la rentrée 2014, l’éditeur belge annonce deux tout-en-un couvrant la chimie en première (PCSI) et en deuxième année (PC), ainsi que deux ouvrages d’exercices de mathématiques, pour les étudiants de première année.
En rachetant Bréal, fortement implanté chez les prépas, Studyrama fait également partie des nouveaux entrants. "L’acquisition de Bréal nous permet de compléter notre offre qui était jusqu’à présent centrée sur les concours d’entrée post-bac et en admission parallèle aux écoles de commerce", indique Frédéric Vignaux, directeur de Studyrama. Si l’exploitation de Bréal doit continuer sous sa propre marque, Studyrama propose désormais quelques ouvrages plus légers de fiches et de révisions. De la même façon, la reprise, au sein du groupe Hachette Livre, d’Armand Colin par Dunod ne devrait pas davantage bouleverser les équilibres. Armand Colin conserve sa marque propre, constituant de facto un complément à Dunod dans l’univers des sciences humaines où ce dernier était encore peu implanté.
Le marché des prépas commerciales, s’il est moins important qu’en sciences, mobilise aussi. Pour la prochaine rentrée, Vuibert va publier Maths ECS et Maths ECE, deux ouvrages qui couvrent les deux années de prépa commerciale, mais il ne devrait pas s’investir outre mesure dans les filières économiques. "Ces titres sont le fruit d’une rencontre avec les auteurs. Nous avons eu l’opportunité de les publier, et nous l’avons donc fait. Mais il ne faut pas oublier que les prépas commerciales représentent un marché plus modeste", précise François Cohen.
Il faut dire aussi que l’éditeur a parallèlement investi en 2013 le marché des prépas Sciences po avec une offre en trois volets : un titre d’information sur les études en IEP ; deux tout-en-un couvrant respectivement le concours d’entrée à l’IEP de Paris et le concours commun des IEP de province, ainsi que celui des IEP de Bordeaux et Grenoble ; et enfin, des ouvrages par discipline pour le concours commun. Vuibert annonce qu’il complétera cet été ce dernier volet par un titre dédié à l’épreuve d’histoire au concours d’entrée de Sciences po Paris.