« À chacun son destin et ses histoires. » Celui de Djaïli Amadou Amal n'a rien d'anodin, si ce n'est qu'il rejoint souvent celui des femmes de son pays, le Cameroun. Par respect de la tradition, cette Peule musulmane a été mariée de force à 17 ans. Pas évident de survivre dans cette prison polygame, où son existence se réduisait au foyer et à la maternité. C'est justement pour améliorer le sort de ses filles qu'elle a trouvé la force de briser ses chaînes. Une expérience relatée dans Les impatientes, prix Orange du livre Afrique et Goncourt des lycéens. Amal n'a pas volé sa réputation de « voix des sans voix » et elle se penche cette fois-ci sur les femmes issues des basses classes, soit les servantes, aussi invisibles qu'indispensables. « Être une domestique n'est pas une tare. Au contraire. C'est un travail difficile qui demande du courage. Mais dans la vie, il faut évoluer. » Faydé s'accroche à cette idée, sans oublier d'où elle vient. Sa mère, Kondem, s'est battue pour qu'elle puisse effectuer sa scolarité, mais la disparition de son père, la peur d'être victime de Boko Haram, la violence et la sécheresse ont obligé l'adolescente à modifier ses plans. « Le village n'existe plus. Tous sont partis. Mais la montagne n'a pas bougé. Les terres sont toujours là. » Alors que Kondem devient casseuse de pierres, Faydé préfère quitter le bercail pour trouver du travail. Ainsi, elle entre au service de Leïla et des siens. Les deux jeunes filles ont le sentiment d'être amies, or le fossé se creuse bel et bien au fil des années, tant elles sont issues de deux mondes différents. « Un domestique reste un domestique, même s'il fait du bon travail et est apprécié. Même assidu, depuis des années, il ne fait jamais partie de la famille. » Du moins, en théorie... puisque Faydé se sent indéniablement attirée par Boukar, le cousin de son employeuse. Une situation délicate vu qu'ils appartiennent à des classes opposées. « Le cœur n'est pas raisonnable. Quand il aime, il se montre rebelle, aveugle et sourd. Il ne fait preuve d'aucune retenue et se moque des barrières sociales. Rien ne peut l'arrêter ! » Tous les domestiques rêvent de sortir de leur condition et de pouvoir unir leur destinée à un être aimé. Mais dans ce pays où chacun appartient à une religion, un rang ou un clan très précis, cela relève d'une véritable gageure. Faydé a beau ne pas se laisser écraser par ce poids, elle sent la révolte gronder. « Ne sommes-nous pas tous des êtres humains ? » Malgré son désir d'aimer ou de s'ouvrir à la lecture, elle doit toutefois souvent déchanter. Jusqu'où est-elle prête à se battre ? « L'amour nous permet d'avancer et de devenir meilleur. Tu n'as rien à regretter. Tu es jeune, et ta vie est devant toi. » C'est pourquoi elle suit le chemin de l'espoir, cher à Simone de Beauvoir. Djaïli Amadou Amal la rejoint dans son envie d'émanciper les sœurs de son pays. Elle a d'ailleurs fondé l'association Femmes du Sahel, auxquelles elle dédie ce roman, afin de lutter pour leur éducation et leurs droits.