C'était donc en 1979. La parution chez Minuit, sous la prestigieuse couverture blanche à liseré bleu, d'un premier roman, Le méridien de Greenwich, dont la radicale modernité tenait à ce qu'il semblait justement si peu s'en préoccuper. Son auteur, un certain Jean Echenoz, un jeune homme dans la trentaine venu du sud, Marseille et Aix-en-Provence, dont nul ou presque ne savait rien mais dont beaucoup se doutaient déjà qu'il allait à lui seul redessiner les lignes de force du paysage romanesque national. La suite fut à l'avenant. Dix-huit livres, romans pour la plupart, unanimement salués au fil des ans (jusque par le jury Goncourt en 1999 pour Je m'en vais), tenant autant de Flaubert que de Manchette, de Perec que de Queneau, mais aussi d'Hitchcock que de Monk... Une œuvre dont le projet comme les enjeux suscitèrent une descendance fertile, la plupart du temps à la même enseigne éditoriale, du côté de Jean-Philippe Toussaint, Christian Gailly, Patrick Deville, ou plus récemment Tanguy Viel ou Julia Deck. Rien d'illégitime donc à ce qu'aujourd'hui, en une manière de bilan que l'on ne veut croire que d'étape, un « Cahier » de l'Herne lui soit consacré.
Parmi les nombreuses contributions que contient ce passionnant volume, c'est dans celle de Tanguy Viel justement que se trouve le mieux résumé le mystère Echenoz : « Et c'est précisément cela, l'Echenoz touch, de faire s'entrecroiser, et mieux encore, se fondre deux mondes qu'on avait jusqu'alors théorisés comme inconciliables : celui, visuel et concret, de la représentation du monde par le romanesque et celui, musical et abstrait, des névroses du langage. »
Placé sous la direction du journaliste et essayiste Johan Faerber, ce « Cahier » de l'Herne distingue justement quatre périodes dans la geste romanesque echenozienne. La première, jusqu'à Lac, est celle de la réanimation du romanesque via le récit de genre ; la deuxième, jusqu'à Au piano, est celle des grands romans voyageurs et de la réitération de la figure de la disparition ; la troisième, qui s'achève avec 14,comprend la tentation biographique ; enfin, la dernière toujours en cours est celle d'une interrogation plus aiguë que jamais relative au geste créateur. En plus de cette approche critique, le « Cahier » s'enrichit des témoignages des compagnons de route d'Echenoz, parmi lesquels les fidèles de toujours, Pierre Michon, Florence Delay, Olivier Rolin (entre autres) ou les « enfants reconnaissants », Maylis de Kerangal ou Laurent Mauvignier. Echenoz, dont la discrétion n'est plus à démontrer, semble s'être volontiers prêté à cet exercice, proposant d'ouvrir pour la première fois ses carnets personnels au lecteur.
Cahier de l'Herne Jean Echenoz
Herne
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 33 € ; 240 p.
ISBN: 9791031903569