Dès sa création en 1634 par Richelieu, l'Académie française, première des cinq académies qui composent l'Institut de France, a reçu, parmi ses missions, l'élaboration d'un dictionnaire, afin de mettre de l'ordre, de codifier une langue française, avec une orthographe, une grammaire, une syntaxe alors encore bien hasardeuses. La compagnie s'attela à la tâche et publia la première édition de son Dictionnaire en 1694, soit un délai de soixante ans, lequel suscita, dès l'époque, « doléances et plaisanteries [...] [sur ses] lenteurs », rappelait Maurice Druon, secrétaire perpétuel de l'Académie, dans sa préface à la neuvième édition, en 1986.
Il rappelait également la spécificité du Dictionnaire de l'Académie par rapport à tous ses confrères : « Il n'est ni encyclopédique, ni historique, ni analogique, ni même étymologique. » En revanche, à partir de 1992, il a été décidé que « la définition de chaque mot ou terme sera précédée d'indications étymologiques » (Maurice Druon dans son « Avertissement » au tome 1 en 1992). Tout en réaffirmant sa raison d'être : « Le Dictionnaire de l'Académie est celui de l'usage, simplement et suprêmement, le dictionnaire du bon usage, qui par là sert, ou devrait servir, de référence à tous les autres. » (préface à la 9e édition toujours en 1986).
Ce qui ne le met pas à l'écart d'un certain nombre d'évolutions, d'innovations, voire de polémiques, que son rythme lui permet cependant de relativiser. « Nous travaillons sur le temps long », dit Florence Monier, responsable du service du Dictionnaire.
La première édition du Dictionnaire est parue en 1694. La deuxième en 1718. La troisième en 1740, la quatrième en 1762, la cinquième en 1798, la sixième en 1835, la septième en 1878 (publiée chez Firmin-Didot), la huitième de 1932 à 1935 (à la Librairie Hachette). On notera l'exceptionnelle rapidité des académiciens du XVIIIe siècle. Quant à la présente neuvième édition, le premier tome (A-Enz) fut publié en 1992 à l'Imprimerie nationale, alors éditeur de l'État.
Il a été réédité ensuite chez Fayard (en 2001), en partenariat avec l'Imprimerie nationale, tout comme le deuxième (Eoc-Map), paru en 2000. Les deux tomes suivants, trois (Maq-Quo) et quatre (R-Zzz), parus en 2011 et 2024, sont des coéditions Fayard / Actes Sud, la maison arlésienne ayant entre-temps repris les activités d'édition de l'Imprimerie nationale privatisée. Le tirage varie de 1 600 exemplaires (tome 4) à 5 000 (tome 2, avec la réimpression de 2024). Le prix de vente, 75 euros à l'origine, est passé aujourd'hui à 100 €, pour de forts volumes de grand format (135 x 200 cm) cartonnés, sous jaquette illustrée.
À noter que Maurice Druon, au milieu des années 1990, avait souhaité rendre accessible le Dictionnaire à un plus large public, notamment les étudiants. Une première édition en semi-poche du tome 1 était donc parue chez Julliard Omnibus en 1994. Mais, suite à un changement de direction chez cet éditeur, c'est l'association Imprimerie nationale / Fayard qui a récupéré le projet : les tomes 1 et 2 sont parus en 2005, tirés respectivement à 2 700 et 3 400 exemplaires.
Le premier est épuisé. Mais ces chiffres de vente n'ayant guère dépassé ceux des volumes en grand format, ni le tome 3 ni le tome 4 ne sont pour l'instant parus. Chez Fayard, le maître d'œuvre de l'entreprise éditoriale - l'Académie française étant l'auteur -, on confie « y réfléchir ». Mais Internet est passé par là, et le Dictionnaire de l'Académie est consultable gratuitement sur son site.
Ce dispositif a également conduit à la disparition des fascicules papier publiés un temps au Journal officiel de la République française, afin que les aficionados puissent suivre en temps réel l'avancée des travaux de la commission du dictionnaire. On peut aujourd'hui suivre l'élaboration de la dixième édition, déjà lancée. Le temps long n'exclut pas le mouvement perpétuel.
La neuvième édition a été initiée par Maurice Druon, secrétaire perpétuel de l'Académie française de 1981 à sa démission en 1999 (il est décédé en 2009), qui a étoffé le service du Dictionnaire et souhaitait accélérer son processus d'élaboration. Elle a été ensuite résolument poursuivie par son successeur, Hélène Carrère d'Encausse, jusqu'à son décès en 2023. Elle est aujourd'hui portée par le nouveau secrétaire perpétuel, Amin Maalouf, particulièrement sensible à la cause de la langue française et de la francophonie.
Dictionnaire « patrimonial », poursuit Madame Monnier, le recueil de 53 000 mots (sans noms propres) « privilégie le long terme plutôt que les modes passagères ». Ce qui n'empêche pas une certaine modernité : on y trouve par exemple « végan » ou « zadiste ». Il comporte beaucoup de termes d'origine étrangère, et pas seulement anglo-saxons : comme des mots de l'arabe, liés à l'islam, des mots de l'hindi (« tabla », ou « sitar »), ou encore des mots du japonais, « en nette augmentation ». En revanche, certains ont été supprimés, parce que franchement obsolètes, ou inutiles.
Le Dictionnaire tranche aussi, parfois, mais sans dogmatisme, et avec des explications justifiées, entre des usages divergents. Ainsi, concernant le mot « covid », il privilégie le féminin. Le -d final de l'acronyme étant celui de l'anglais disease, « maladie » en français, qui provient lui-même du français « désaise », nom féminin. « On dira donc de préférence "la covid", mais les deux genres sont tolérés. »
Enfin, cette neuvième édition du Dictionnaire ne se referme pas, comme certains de ses concurrents, sur le fameux zythum, la bière d'orge des pharaons. Comme d'autres, la commission a préféré terminer sur l'onomatopée familière Zzz. Certains académiciens somnoleraient-ils durant la lecture des fiches du Dictionnaire, le jeudi après-midi ?