Les livres d'Eugenides sont très attendus. Il faut dire qu'entre chacun d'eux il prend son temps. Huit ans entre Virgin suicides (Les vierges suicidées chez Plon en 1995, repris chez Points sous le titre original), son premier roman, et Middlesex (L'Olivier, 2003, repris chez Points), qui lui valut le prix Pulitzer, puis une décennie encore entre ce deuxième opus et le suivant, Le roman du mariage (même éditeur, 2013, même collection poche).
En cette rentrée, voilà de quoi réjouir les aficionados de l'auteur originaire de Detroit : un recueil de nouvelles, Des raisons de se plaindre. Ces histoires déclinent des thèmes qui sont chers au lauréat du Pulitzer : l'échec en amour, dans la gestion de carrière ou de fortune... Pas spécialement d'échec grandiloquent, c'est parfois le banal ratage. On rencontre ici des personnages (« La vulve oraculaire ») que l'on recroisera plus tard, le sexologue Dr Luce de Middlesex, déjà intéressé par l'hermaphrodisme, ou encore Mitchell Grammaticus (« Par avion »), futur protagoniste du Roman du mariage. Cette excellente nouvelle raconte l'insatisfaction existentielle (misères sexuelles diverses et autres dépits amoureux) convertie en sagesse orientale édifiée à base de jeûne et surtout de turista. Atteint de dysenterie, ledit Mitchell, en « retraite » sur une île dans le golfe de Siam, se vide les entrailles et pense avoir atteint le nirvana. La plume naturaliste d'Eugenides, qui n'oublie pas la corporéité et ses flatulents inconvénients, n'est pas moins psychologique (la preuve que les boyaux sont un second cerveau). L'écrivain américain croque formidablement le portrait de ces Occidentaux en manque de spiritualité at home devenus chantres de l'ascèse une fois débarqués de l'avion qui les ont transportés vers des destinations exotiques. L'enfer (du désir) est pavé de bonnes intentions (« Sujet de plainte »), un universitaire marié aiderait bien cette très jeune étudiante indo-américaine dont les parents conservateurs veulent la marier à un inconnu de leur choix en Inde. Mais les failles sont aussi rachetées par l'humour, la complicité, celle qui lie Della sénile et sa cadette Cathy dans « Les râleuses », une superbe histoire d'amitié féminine.
Des raisons de se plaindre - Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Olivier Deparis
L’Olivier
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 22,50 euros ; 304 p.
ISBN: 978-2-87929-987-7