Percussion et répercussions. « C'était peut-être un sanglier ou un chevreuil, une biche, un daim ou un chien errant. » Jérôme cherche toutes les explications possibles et imaginables pour tenter d'évacuer l'idée qu'il ait pu percuter quelqu'un, cette nuit-là, au volant, en Touraine. « Une forme, une silhouette, un poids, un bruit. » Cela fait-il un doute ? Jérôme était ivre. Il est sorti du véhicule, n'a rien vu alentours, s'est tu au retour auprès de Victoire, la femme qu'il doit épouser. Pourtant, nul ne peut déjouer le destin, la machine est lancée.

Dans un triangle géographique qui passe par Montmartre, Montreuil et Chinon, le roman progresse suivant deux trames, avant le choc frontal. La vie de Victoire et Jérôme d'un côté, avec la banalité triviale de leur quotidien. Ils vont se marier dans la maison de famille de Victoire. Victoire est une femme si parfaite qu'elle ne parvient même pas à exaspérer le lecteur, tandis que lui, plus nuancé, est porteur du poids d'un secret d'antan qui éclaire le présent - comme Anna, l'héroïne du précédent et premier roman de Claire Jéhanno, La jurée. On croise aussi Sacha, le fils adolescent de Victoire, et leurs amis, Monti et Lola, la tatoueuse. De l'autre côté, il y a la victime, « une femme, un accident grave », Marie, sommelière à Chinon. Son vélo est dans un fossé, elle dans le coma.

Avec La jurée, la Vannetaise Claire Jéhanno avait été finaliste du prix Maison de la presse en 2023. Le roman, salué par la critique, sondait les questions morales en matière de justice, avec une puissance comparable à celle que l'on peut trouver chez Karine Tuil ou Philippe Jaenada. C'est au tribunal que l'autrice avait puisé son inspiration. Éditrice de livres et de magazines pour enfants avant de passer dans la communication et la production de podcasts, elle s'était rendue avant le premier confinement au tribunal de Rennes pour suivre une affaire, persuadée d'y trouver un point de vue inédit. Ainsi La jurée croisait les minutes d'un procès avec une remontée dans le passé de son héroïne Anna, marquée par un traumatisme dans l'enfance.

La tension narrative induite par la double trame ainsi que la définition fine des personnages sont des qualités incontestables que l'on trouve à nouveau dans ce − si difficile − deuxième roman, Qu'importe la nuit. On recule avec Jérôme face à la décision à prendre : assumer les conséquences de ses actes ou devenir « un déserteur » aux yeux des autres et de lui-même ? La loyauté de Victoire envers son partenaire fait-elle d'elle sa complice ? Rien n'est simple mais tout est juste dans ce tiraillement, qui jusqu'au bout laisse espérer une issue heureuse, un miracle, Jérôme innocenté, pourquoi pas ? D'une plume mesurée, Claire Jéhanno construit un roman très abouti sur l'éthique et le couple, sur les attentes des uns et des autres, de l'un envers l'autre. Les planètes Mars et Venus, ici, s'opposent et se complètent dans la propension à porter des œillères pour lui et la volonté de voir la vérité crue pour elle.