La maison vide de Normandie. On le sait depuis La cache ou Les vies de Jacob (Stock, 2015 et 2021), dans l'ordre des enquêteurs, Christophe Boltanski est un maître. Sans doute ce goût de la filature, des gouffres que parfois recèle le réel, n'est-il pas sans lien avec l'exercice du journalisme, du reportage, dont il fut longtemps parmi les meilleurs des serviteurs. Il y a aussi dans ses propositions littéraires une appétence pour ces failles où la vérité se travestit des oripeaux fascinants du romanesque. Cette dialectique qui lui est propre n'a peut-être jamais été si évidente et somme toute aboutie que dans son nouveau livre, Le trait de côte. Tout y est passé au tamis de la rêverie, tout y est vrai.
Ce serait donc l'histoire d'un homme et des fantômes qui peu à peu se forment en lui. Dans un village du Cotentin, non loin de la rumeur incessante de la mer, il les laisse venir à lui. Ce sera d'abord une photo (comme souvent chez Boltanski), sépia, probablement prise à la veille de la Grande Guerre. Cinq personnes s'y tiennent là, comme en attente d'être délivrées par la grâce d'un regard vrai. Des vies qui se détachent et sortent du cadre, au fur et à mesure que le narrateur les interroge. Il en est l'héritier, comme de cette maison normande repliée sur elle-même comme un complot de colère. Bientôt, il découvre des vieux papiers, des textes, des correspondances. Là débute l'enquête. Le long de ce trait de côte, il trouvera des échos de contrebande, un sanatorium creusois, des instituteurs communistes, un petit monde qui est le sien, qui est celui de ce siècle écoulé. Un monde indécis, un peu tremblant, sous la menace d'être recouvert par la montée des eaux et celle de l'oubli.
Bien sûr, à la lecture de ce Trait de côte, on ne peut s'empêcher d'en tisser les correspondances avec le récent La maison vide de Laurent Mauvignier. Mais là où le prix Goncourt va vers l'ample geste balzacienne, Christophe Boltanski fait ce qu'il sait faire, magistralement par ailleurs : exhumer des traces, sans y toucher. Surtout, à la façon cette fois-ci d'un Modiano, le fantôme le plus évanescent de cette collection de spectres, c'est lui-même, ce petit homme vu de dos...
Le trait de côte
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Tirage: 5 000 ex.
Prix: 20 € (prix provisoire) ; 288 p.
ISBN: 9782234096097
