3 novembre > Récit Suisse > Matthias Zschokke

De juin 2012 à janvier 2013, Matthias Zschokke a passé sept mois à Venise à l’invitation d’une fondation culturelle. L’écrivain suisse, né en 1954 et installé à Berlin, était là en résidence d’écriture mais, dans l’iconique cité, il n’a rien écrit ou plutôt si, il a écrit… à sa famille, à ses amis et à quelques relations professionnelles. Cela donne ce vrai-faux journal en forme de correspondance, recueil de mails qui reconstituent cette vie à Venise, juxtaposant dans un mélange baroque des informations pratiques et des considérations esthétiques. Manger, boire, "s’étourdir de la beauté de la ville", prendre des bains matinaux sur la plage du Lido, lutter contre les moustiques et la chaleur, acheter un ventilateur design, fixer au 15 novembre un concert privé de piano et envoyer des invitations, organiser les séjours de sa mère de 96 ans, ses deux frères et sa sœur, "sa tante de Palerme"…, le tout ponctué de quelques mondanités et de courts allers-retours en Allemagne pour des lectures. Voilà le programme de notre résident provisoire rapidement piqué par "le virus vénitien". Nombreux sont les messages adressés à son cher Niels, le meilleur ami, ici désigné seulement par "A l’ami de Cologne", déjà destinataire des Courriers de Berlin (Zoé, 2014), dans lesquels il commente l’actualité internationale, donne des comptes rendus de lecture, des critiques de films ou de concerts et les horaires de vols low cost susceptibles de convaincre l’ami de venir le rejoindre quelques jours.

Pour l’auteur de Maurice à la poule (Zoé, prix Femina étranger 2009), ce séjour coïncide avec la sortie en Allemagne de L’homme qui avait deux yeux (Zoé, 2015) et Matthias Zschokke se plaint auprès de tous ses correspondants du peu d’enthousiasme que le livre suscite. "Un pétard mouillé" que les lecteurs allemands n’ont pas trouvé drôle comme il l’espérait mais "dépressif et égocentrique", assure-t-il, dépité, à sa traductrice. Il nous fait rire, nous, avec ses petits côtés vieux ronchon fauché, jaloux, frustré de succès, facilement "épuisé", qui cohabitent avec un esprit féroce exprimé dans des jugements tranchés, une façon expéditive de déboulonner les idoles (Proust, Mann, Bergman…), de fermes partis pris littéraires - "je hais tout langage symbolique". Et dans sa façon distanciée de raconter son emploi du temps de "jet-setteur de la culture" tout en tenant ses livres pour "une affaire existentielle importante".

Véronique Rossignol

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