L’attribution à Robert Zimmerman, dit Bob Dylan, du prix Nobel de littérature 2016 a suscité des réactions d’extase ("Ces mots qui palpitent au rythme de l’époque […], qu’est-ce d’autre que de la littérature ?", Laurent Joffrin, Libération) ou d’indignation ("On ne peut qu’imaginer des délibérations très arrosées […]. La poésie doit donc s’avancer sur des airs d’harmonica. Les écrivains ne sont décidément plus considérés", Eric Neuhoff, Le Figaro). Elle fait surtout ressortir l’extension des limites de la littérature et, partant, sa difficulté croissante à faire valoir sa singularité dans un univers créatif au sein duquel les frontières se brouillent. Au fond, comme "tout est politique", de plus en plus "tout est littérature". Comme le souligne Annie Ernaux dans une interview au Monde daté des 16-17 octobre, "cette récompense est le signe d’un tournant : ce qui est proprement littéraire se dissout".
Il y a du bon et du mauvais dans cette évolution, qui va de pair avec celle du lectorat - de moins en moins de gros lecteurs, qui forment le noyau de la clientèle de la production littéraire, et de plus en plus de petits lecteurs, qui zappent et picorent. Elle exprime une forme de reconnaissance qui permet l’appréhension de la littérature par le public le plus large. Elle démultiplie son audience potentielle. Dans le même temps, elle défait la création littéraire d’une part de sa puissance spécifique, qui en a fait un vecteur privilégié de la restitution du monde, des tourments et des défis de l’humanité. Elle la banalise.
La qualité d’écriture et la puissance d’évocation de l’œuvre poétique de Bob Dylan ne sont pas en cause. Force est en revanche de constater que ces textes sont indissociables des mélodies du barde qui les porte. Et que le choix des jurés Nobel fera vendre, malheureusement, plus de disques que de livres.