Familles d'accueil. « Un temps, je me sentais seule. Ça ne durait toutefois pas longtemps, et je ne veux apitoyer personne en écrivant ça − vite, j'ai pris conscience de la vitalité que j'éprouvais, aussi, dans la solitude. J'ai trouvé des complices avec qui la partager et compris qu'il y avait peut-être, dans cette faille, un paysage. »
La faille (« famille » sans « m » ou « aime », notons-le) est donc le titre du nouveau livre de Blandine Rinkel, dans lequel elle entreprend, à tâtons et avec grâce, de dessiner ces paysages possibles de nos ultramodernes solitudes. On le sait depuis L'abandon des prétentions ou le magnifique Vers la violence (Fayard, 2017 et 2022), Rinkel est d'abord romancière, sans aucun doute l'une des plus douées de sa génération, mais le débat public et culturel ne lui est pas étranger, que ce soit en son nom propre ou avec son collectif, Catastrophe, monté avec Pierre Jouan. Pour autant, La faille ne saurait être considéré uniquement comme un essai. C'est un livre superbement impur, mixant les genres, tenant avant tout de la confession et du récit de soi. Un livre qui oppose donc à la supposée et fallacieuse consolation de la famille et du groupe une solitude choisie, perçue comme une ligne d'horizon. En une époque qui exige d'une manière ou d'une autre de « prendre part », de s'intégrer moins au monde qu'à la société et à la myriade de communautés qui la composent, l'autrice, rejetant naturellement toute espèce d'assignation à résidence, ne se contente pas non plus de l'axiome de Bartleby « I would prefer not to ». Puisant sa matière première dans les pages de ceux qui l'ont précédée en matière d'égarement et de libération, Fritz Zorn ou Laure Murat, elle propose avec délicatesse comme une solution possible une autre famille, d'accueil celle-là, ouverte aux pas de côté et aux lignes de fuite. Et puis, comme il faut toujours un « motif dans le tapis », il y en a bien un ici. C'est le croisement de deux solitudes qui ne se quittent plus, cela s'appelle l'amour. Alors, Rinkel écrit : « ce qui nous menace si souvent, c'est l'assèchement de nos désirs profonds. La cadavérisation d'une personne, par le groupe auquel il appartient, la norme et son autorité. Le danger, c'est le gel de soi . » En ce sens, en cet hiver qui vient, La faille nous tient chaud.
La faille
Stock
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 20 € ; 240 p.
ISBN: 9782234097643