Il y a tout juste un an, le 9 janvier 2014, la pétition "Ouvrons + les bibliothèques" lancée par l’association Bibliothèques sans frontières (BSF) réussissait à faire sortir la réflexion sur les horaires d’ouverture des bibliothèques du cercle des professionnels pour l’inscrire dans le débat public et mobiliser les politiques et les usagers. Les bibliothécaires et les élus n’avaient pas attendu cette pétition pour mettre en œuvre un peu partout en France des expériences réussies, mais l’initiative de BSF a contribué à banaliser le sujet et à le rendre incontournable, en particulier pour ce qui concerne le sujet de l’ouverture le dimanche, très sensible dans la profession il y a encore quelques années.
"De garde" le dimanche
Signe de sa forte actualité, la question des horaires fait l’objet de deux publications à la fin de l’année 2014 et début 2015 : Ouvrir grand la médiathèque, faire évoluer les horaires d’ouverture, publié par l’Association des bibliothécaires de France (ABF) en partenariat avec le ministère de la Culture, et Ouvrir plus, ouvrir mieux : un défi pour les bibliothèques, à paraître aux Presses de l’Enssib (Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques) (1). L’une comme l’autre ont été conçues comme des outils pratiques, basés sur des expériences concrètes, à l’usage des décideurs et des bibliothécaires désireux d’élargir l’ouverture de leurs établissements. Car beaucoup reste à faire : selon les données de l’observatoire de la lecture publique pour 2012, la moyenne hebdomadaire d’ouverture des bibliothèques publiques n’est que de 15 heures - 30 heures pour les villes de 40 000 habitants et plus. Au global, seules 6 % des bibliothèques françaises sont ouvertes 30 heures ou plus. Les 38 bibliothèques des villes de plus de 100 000 habitants sont ouvertes en moyenne 40 heures par semaine.
Premier constat, souligné dans les deux ouvrages : pour réussir, un projet d’extension des horaires doit être adapté aux réalités du territoire et aux habitudes de sa population. "La problématique rejoint l’actualité des questions que pose aujourd’hui la pertinence des temps d’accès aux services en général, commerces, transports, loisirs, etc.", pointe Georges Perrin, qui a dirigé le titre publié par l’Enssib. A Carnac, par exemple, une station balnéaire du Morbihan qui compte 4 227 habitants l’hiver et 50 000 l’été, la médiathèque a conçu sa carte horaire en y intégrant l’accueil des touristes. En juillet-août, elle passe à une ouverture le matin jusqu’à 15 h, lorsque tout le monde part à la plage.
Les expériences relatées dans les deux guides décortiquent en détail les leviers sur lesquels il est possible d’agir : réorganisation des espaces pour ouvrir avec moins de personnel en poste d’accueil, externalisation des tâches techniques, recours aux vacataires et aux emplois d’avenir, automatisation des prêts et des retours. Reste la question de l’argent. "Elargir les horaires de manière significative nécessite d’investir dans les moyens humains ou techniques, confirme Anne Verneuil, présidente de l’ABF et directrice de la médiathèque d’Anzin. En cette période d’austérité budgétaire, les choix sont difficiles pour les élus. Il faut creuser la piste de la mutualisation et travailler sur un territoire plus large que la commune ou l’intercommunalité. A Anzin, nous avons un partenariat avec 4 autres communes qui permet à leurs habitants de s’inscrire dans notre bibliothèque dans les mêmes conditions que les Anzinois, c’est-à-dire gratuitement. Une réflexion commune autour des horaires d’ouverture, pour proposer des amplitudes satisfaisantes pour les usagers d’un territoire élargi, peut être une piste de travail intéressante."
Cette idée rejoint celle avancée par Patrick Weil, président de BSF, qui prône la mise en place d’une bibliothèque "de garde" le dimanche dans les villes de plus de 10 000 habitants, et qui balaie la question du coût : "Construire une piscine, cela coûte très cher, plus que d’étendre les horaires d’ouverture des bibliothèques. L’ouverture du dimanche, plébiscitée par les usagers, permet une alliance entre ces derniers et les bibliothécaires pour convaincre les élus de l’intérêt d’accorder plus de crédits aux bibliothèques, confiait-il fin décembre à Livres Hebdo. J’aimerais aussi mobiliser les éditeurs et les libraires sur cette question qui les concernent tout autant."
Une enquête du ministère de la Culture pilotée par la BPI devrait fournir au premier semestre 2015 un bilan des différentes expériences d’extension des horaires d’ouverture. Elle permettra de mettre en regard leur coût et leur impact sur la fréquentation et sur la diversification des publics.