« Comme on disait de Camus qu'il était un philosophe de classe Terminale, on dit de Bachelard qu'il est un philosophe d'école d'art », constate avec regret Jean-François Sanz, commissaire de l’exposition Bachelard contemporain. Cette condescendance de l’intelligentsia universitaire est sans doute liée à la posture très indépendante que le penseur a entretenue tout au long de son parcours. Aux structuralistes qui dominaient alors l'intelligentsia, Gaston Bachelard préférait les cercles artistiques. Proche des surréalistes, il a exploré « l'imagination matérielle » et établit des liens entre l'esprit et la matière, les corps et les ondes, faisant notamment des quatre éléments naturels les piliers d'une réflexion sur la rêverie, les songes et l'imaginaire. L'expression poétique de Bachelard l'a classé parmi les philosophes les plus littéraires de son temps et son éditeur n'était autre que celui des surréalistes, José Corti. « Ses livres sur les quatre éléments et La Poétique de l'espace sont énormément lus en écoles d'art », constate Jean-François Sanz, pour qui notre époque, celle de l'anthropocène et de la dématérialisation, fait ressurgir la contemporanéité de la pensée bachelardienne.
19 artistes nés entre 1928 et 1996
Ainsi les oeuvres de 19 artistes de différentes générations - ils sont nés entre 1928 et 1996 - se partagent les deux étages de La Fab. On passe de la célèbre photographie Le Saut dans le vide d'Yves Klein à Débâcle, une installation sonore à partir d'un cube de glace suspendu par une corde conçue par Max Sister), via les pièces de Christian Boltanski, Félicie d'Estienne d'Orves ou encore Emma Charrin. Tous sont profondément inspirés par les textes de Gaston Bachelard, dont des extraits sont donnés à lire près de chacune des œuvres. Pour Livres hebdo, Jean-François Sanz en a sélectionnés quelques-unes, associées à un titre du philosophe :
La Psychanalyse du feu : « Cette œuvre d'Isabelle Bonté-Hessed2 porte le nom du texte qui l'a inspirée et correspond a une performance qu'elle a faite. Pendant 77 soirs d'affilée, elle a lu une page recto verso de La Psychanalyse du feu, qu'elle a brulée dans la foulée et enfermée dans des cercles à broder remplis de paraffine. Il en résulte 77 pièces, exposées en fin de parcours de l'exposition ».
L’Eau et les rêves : « The Waves est une pièce interactive de Thierry Kuntzel qui me tient à cœur et a été compliquée à montrer dans l'exposition. Il s'agit de la projection d'une vidéo de l'océan : les vagues arrivent vers le spectateur, qui, en avançant vers l'écran, voit ralentir le rythme de leur déferlement grâce à un capteur de mouvement. On peut même arrêter le mouvement si l'on se rapproche trop des vagues. »
La Terre et les rêveries du repos : « Je n'arrive pas à choisir entre deux pièces. Il y a d'abord Le Cratère de Gwendoline Robin, une comète tombée dans La Fab qui aurait laissé cet impact. Il s'agit d'une réflexion sur les origines de la vie terrestre, qui proviendraient de l'eau glacée dans les comètes qui se seraient abattues sur Terre il y a des millions d'années. Et puis il y a Horrible Pugiliste brother, d'Olivier Muller, un danseur performeur et artiste plasticien qui modèle un bloc de terre et le manipule en l'intégrant à ses chorégraphies. Le contact direct et charnel avec la terre glaise est particulièrement touchant. »
L’Air et les songes : « J'aime Le Saut dans le vide, d'Yves Klein, pour sa volonté de se libérer de l'apesanteur, et la dimension potache du photomontage. Il y a une complicité d'esprit entre le travail de Yves Klein et le surréalisme. Il citait régulièrement Bachelard, qui a eu beaucoup d'influence sur son travail. Il aurait essayé de rencontrer Bachelard mais le philosophe l'a pris pour un illuminé et la rencontre ne s'est finalement pas faite… »
« Bachelard contemporain » à La Fab., centre d'art agnès b.