Reportage

Avec Bernard Minier en terre de polar

Bernard Minier a décollé dans les ventes en Norvège grâce à son roman Lucia, paru en 2023 - Photo © ED

Avec Bernard Minier en terre de polar

Le romancier est allé pour la première fois à la rencontre de son public norvégien à l’occasion du Krimfestivalen, à Oslo, peu après la sortie locale de son ouvrage Un Oeil dans la nuit. Nous l'avons suivi dans le pays du Nordic noir.

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Par Éric Dupuy à Oslo ,Norvège
Créé le 25.03.2025 à 19h41 ,
Mis à jour le 26.03.2025 à 09h05

Il est l’un des rares auteurs de polar français à avoir brisé le plafond de verre dans un pays scandinave. Huit ans après la traduction de son premier roman Glacé, Bernard Minier s'est rendu pour la première fois à la rencontre de son public et de son éditeur norvégiens. L’occasion pour lui de mesurer son succès et de réévaluer ses ambitions.

« N’est-il pas le meilleur auteur de polar du monde ? »

L’auteur XO, qui a publié son premier roman en 2011 en France, a débarqué sur le marché norvégien en 2017, accueilli chez Aschehoug, prestigieuse maison d'édition fondée en 1872. Mais c’est véritablement en 2023 que sa notoriété s'est installée avec la parution du premier opus de sa série Lucia, dont l'histoire se déroule en Espagne, qui est resté numéro trois des ventes durant des semaines après sa sortie. « Les critiques littéraires qui comptent beaucoup ici ont alors posé la question : n’est-il pas le meilleur auteur de polar du monde ? », raconte Annette Orre, directrice de la littérature étrangère d'Ascheboug (voir encadré). Une interrogation qui a incité le public à se précipiter sur l’ouvrage, puis sur les autres déjà parus. La machine s’est alors très vite emballée.

Bernard Minier Krimfestivalen
Bernard Minier en discussion avec le finlandais Max Seeck et le norvégien Aslak Nore- Photo © ED

Le succès de l'ancien douanier de 64 ans dépasse aujourd’hui celui de Fred Vargas, première française à avoir su séduire le public scandinave avide de polar. « C’est un marché très difficile à pénétrer pour les auteurs français, reconnaît-il. Le Nordic Noir a tellement d’auteurs prestigieux et formidables que ses lecteurs n’ont pas forcément besoin de nous, un peu comme les Américains ». Reste que depuis sa sortie norvégienne le 2 février dernier, Un œil dans la nuit, est constamment dans le Top 20 des ventes.  
Bien avant de signer son premier contrat de traduction, Minier s’était rendu en repérage en 2015, entre Bergen et Oslo, pour écrire les premières pages de son roman Nuit. « J’étais un fan de Henning Mankell et de Jo Nesbø, confie-t-il. Je voulais juste pour rendre hommage au genre nordique. Je trouvais aussi intéressant de situer quelques chapitres sous ces latitudes. Mais je ne connaissais pas assez la Norvège pour y dérouler un roman entier, ça aurait été une forme d’arnaque. Pour autant, je ne pense pas que mon succès ici soit lié à ça. Je pense que c’est autre chose. Je ne sais pas exactement quoi… »

Un éditeur qui lit le français, un avantage énorme

Pour Roxana Zaharia, qui, au sein de la maison XO gère ses droits à l’international, ce succès nordique est le fruit d'un travail de longue haleine. « Bernard a été publié en Norvège par un éditeur qui lit le français et donc qui a pu juger de la première à la dernière page de la qualité du texte », explique-t-elle. Un avantage énorme puisque les réunions commerciales peuvent avoir lieu très en amont. Aux yeux de l’agent, c’est également « l’ambition de l’éditeur de s’investir dans l’auteur plutôt que dans le texte » qui a fait la différence.  

Bernard Minier l'Oeil dans la nuit
L'Oeil dans la nuit, comme tous les ouvrages de Bernard Minier, est publié dans une maison historique et très littéraire de Norvège, Ashehoug- Photo © ED

En évoquant le travail de sa maison d’édition norvégienne, Bernard Miner reconnaît qu'elle est plus estampillée « maison de littérature blanche » que son éditeur français. Ce qui ne le dérange nullement, au contraire. Lors d’une rencontre publique avec Aslak Nore, auteur réputé en Norvège édité en France par la maison marseillaise Bruits du monde, il n'a pas caché son sentiment vis-à-vis de la catégorisation des genres. « Un auteur de polar est un romancier. Pourquoi toujours l’affubler de l'étiquette polar ? » s'est-il demandé sous les applaudissements de 200 personnes venues l’écouter religieusement. « Ce qui m’intéresse, dit-il à Livres Hebdo, ce n’est pas uniquement l’intrigue, mais tout ce qu’on met autour. James Ellroy disait : "Je respecte scrupuleusement les règles du genre, mais j’essaie d’y mettre quelques petites choses en plus". »

Défenseur des droits des auteurs

Malgré un succès qui le place au-dessus de beaucoup de ses confrères, en France comme dans une bonne partie des 28 pays où il est présent (notamment en Pologne, République tchèque mais également en Espagne), Bernard Minier reste un fervent défenseur de sa corporation. « En Norvège, les droits d’auteur sont négociés entre le syndicat des éditeurs et le syndicat des auteurs. Tous les auteurs, de Jo Nesbø aux débutants, ont le même pourcentage : 17 %. En France, c’est impensable. La plupart des auteurs débutent à 8 %, voire moins. Pourquoi n’a-t-on pas un système similaire ? » s'interroge-t-il avant d'évoquer le régime de l’intermittence du spectacle dans le monde de l’audiovisuel. Un monde qui le fascine. Dans H, son prochain roman à paraître ce 27 mars en France chez XO), l'un des personnages majeurs de l'intrigue est un présentateur trublion du PAF et gros pourvoyeur d’audience. Pour le rendre réaliste, l'auteur a passé des journées dans les coulisses d'émissions de télé.

Jo Nesbo et Bernard Minier
Jo Nesbo, auteur star du polar norvégien, avec Bernard Minier au Krimfestivalen d'Oslo, le 20 mars 2025- Photo © ED

Est-ce ce sens du détail qui a séduit les lecteurs norvégiens ?  Ce pays de 5,5 millions d’habitants connaît pourtant, comme beaucoup d'autres, une transformation des habitudes de lecture. Près d'une vente de nouveauté sur deux s'inscrit désormais dans le marché du livre audio. Mais Bernard Minier ne s'inquiète pas d'une érosion de son lectorat : « Pour moi, toutes les façons de lire sont bonnes. Par rapport à la musique, ravagée par le streaming, ou au cinéma, en crise, le polar reste un genre très populaire. Quant à la lecture, c’est un acte unique. Contrairement aux séries ou aux films, le lecteur participe, il recrée l’univers avec son imagination ». En ce moment, lui-même lit J'écris l’Iliade, de Pierre Michon (Gallimard)

Bernard Minier Norvège
Bernard Minier avec son éditrice norvégienne d'Ashehoug, Annette Orre, à Oslo, le 20 mars 2025- Photo © ED

Par ailleurs, Bernard Minier est aussi un auteur multicanal toujours en mouvement. Il est attendu à Lille au Festival Séries Mania où le polar a la cote auprès des producteurs. Il ira ensuite évidemment à Lyon pour l'incontournable Festival Quais du Polar avant de se lancer dans une tournée promotionnelle en Espagne. De la même façon que la Norvège peut être un point de départ pour conquérir toute la Scandinavie, l'Espagne pourrait contribuer à l’affirmer en Amérique du Sud. Songe-t-il aussi aux États-Unis ? « Si quelqu’un y arrive, qu’il me fasse signe ! », dit-il en rigolant.  Mais rien n'interdit à celui qui vend deux fois plus de livres à l’étranger qu’en France d'y rêver quand même.

Une percée remarquable dans un marché conservateur

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