Le narrateur, dont on apprendra tardivement dans le livre l'identité, Abderrahmane Eljarib, et l'année de naissance, 1929, est issu d'une famille marocaine modeste. Brillant élève, il a eu la chance, à 15 ans, d'être sélectionné pour le Collège royal de Rabat, admis parmi les condisciples de l'aîné des princes héritiers, Moulay Hassan. Un privilège et une chance, certes, mais aussi un risque : il ne faut pas déplaire au futur souverain du pays, si l'on veut, une fois qu'il aura accédé au trône, demeurer, parmi ses familiers, un homme de confiance à qui il pourrait attribuer missions, fonctions, prébendes plus ou moins prestigieuses et lucratives. Toute sa vie, Eljarib va ainsi naviguer entre la grâce et la disgrâce, avec la peur de déplaire à son maître, tout-puissant et autoritaire, devenu roi sous le nom de Hassan II en 1961, après la mort de son père, Mohammed V, ancien sultan sous le protectorat français et premier roi après l'indépendance du Maroc.
Tandis que Moulay Hassan fait son droit à Bordeaux, Eljarib étudie l'histoire à la Sorbonne, puis écrit un recueil de poèmes culte, Élégies barbaresques, apprécié de Senghor et de quelques autres jeunes intellectuels africains militant pour les indépendances de leurs pays. De retour chez lui, il travaille pour le Makhzen, le très puissant et mystérieux Palais royal, d'abord comme conseiller technique à l'éducation nationale, puis gouverneur académique de Tarfaya, tout au sud du pays, dans le Sahara, bourgade reprise aux Espagnols par le prince en 1958. Il va rester là sept ans, dans l'ancien Cap Juby de Saint-Exupéry et de l'Aéropostale, face aux Canaries, dans un semi-exil et un emploi presque fictif. Enfin, en 1968, il est rappelé à la cour et se voit confier par le roi un poste improbable : historiographe du royaume chérifien, dans la tradition française où se sont illustrés, entre autres, Racine, Boileau ou Voltaire. À ce titre, il va exercer des missions diverses, « plume » du roi ou encore chargé de préfigurer les célébrations du tricentenaire du règne de Moulay Ismaïl, fondateur de la dynastie alaouite, mais aussi tyran sanguinaire. L'idée sera finalement abandonnée, à cause des deux tentatives de putsch et d'assassinat du roi, en 1971 (à Skhirat) et 1972, attribuées au général Oufkir, lequel se suicidera « de trahison ».
Malgré des hauts et des bas, la faveur du monarque ne fera jamais défaut à Eljarib. Il le mariera ainsi à la femme qu'il aime, même si celle-ci lui a menti sur ses origines. L'épisode est assez obscur. Tout comme le demeure la fin de la vie du héros, mort en 1999 (quelques mois après son maître), reconstituée par une universitaire française qui retrouve et publie son manuscrit.
Le procédé romanesque est bien connu. Mais cela nous vaut un livre original, passionnant, sur une histoire récente du Maroc peu connue en France, ou bien oubliée, par un intellectuel fasciné par le politique, Maël Renouard, où l'on peut s'amuser à retrouver quelques traits de son propre parcours, lui qui fut « plume » aussi, et se rêva- qui sait ?- en historiographe d'un candidat déchu à l'Élysée.