Grand entretien 1/2

Arnaud Gauquelin : «  D’ici cinq ans, Cultura a l’ambition d’ouvrir 60 magasins supplémentaires  »

Après plus de 30 ans chez Decathlon, Arnaud Gauquelin est, depuis janvier 2024, directeur général de Cultura - Photo Charles Knappek

Arnaud Gauquelin : «  D’ici cinq ans, Cultura a l’ambition d’ouvrir 60 magasins supplémentaires  »

Arrivé à la tête de Cultura en janvier 2024, Arnaud Gauquelin a reçu Livres Hebdo au siège social de l’enseigne à Mérignac, en Gironde, où il est revenu sur les particularités de cette grande surface culturelle typiquement française. L’occasion également d’évoquer les grands axes de développement de Cultura, entre ambitions internationales et adaptation aux nouveaux usages culturels. Dans la seconde partie de l'entretien, à retrouver demain sur notre site, Arnaud Gauquelin abordera, entre autres, les sujets du livre d’occasion, de Filéas et du livre audio.

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Par Élodie Carreira, Charles Knappek à Mérignac,
Créé le 16.09.2025 à 17h13

Livres Hebdo : Arnaud Gauquelin, vous qui venez du monde du sport puisque vous avez longtemps travaillé à Decathlon, comment s’est passée votre arrivée à la tête de Cultura en 2024 ? Avez-vous trouvé des synergies entre ces deux entreprises de nature bien différente ?

Arnaud Gauquelin : Après 32 ans passés chez Decathlon, en France et à l’international, je suis arrivé chez Cultura où j’ai été très bien accueilli par mon prédécesseur Frédéric Becquart, qui est toujours présent dans l’entreprise, et par l’ensemble des équipes. Je ne suis d’ailleurs pas tout à fait arrivé en terre inconnue puisque Philippe Van der Wees, notre président fondateur, m’avait invité à rejoindre le comité stratégique de Cultura en 2022. Cultura et Decathlon ont plusieurs points communs. D’abord, il s’agit de deux entreprises familiales dont la vision est établie à très long terme. Ensuite, ce sont des entreprises à fortes convictions renforcées par la passion et l’engagement des collaborateurs. Le métier, lui, reste celui d’un commerçant de grande surface spécialisé en périphérie. Néanmoins, je crois que ce qui distingue Decathlon de Cultura est le rapport à l’international : alors que Decathlon est présent dans plus de 60 pays, Cultura reste une spécificité franco-française, à laquelle s’ajoute la réglementation du livre, elle aussi très spécifique.

Cultura a tout de même connu quelques incursions étrangères, en s’implantant en Belgique, à Liège puis en Wallonie. Or, trois ans plus tard, les deux magasins ont fermé leurs portes. Pourquoi ?

C’était en effet la première fois que Cultura s’aventurait hors de l’Hexagone. Il y a eu, d’après moi, des choix d’implantation qui n’étaient peut-être pas les meilleurs. Le site de Liège, par exemple, a été fortement perturbé par des travaux de voirie. À cela s’est ajouté le Covid, puis l’inflation. Ce fût néanmoins une expérience sur laquelle nous avons capitalisé. Nous avons notamment élaboré un plan stratégique pour les cinq ans à venir, où l’international fait toujours partie de nos ambitions puisque le modèle de Cultura, en lui-même, a été très bien reçu. Cependant, je crois que pour développer Cultura en dehors de notre marché domestique historique, il faudra probablement réfléchir à l’avenir à des alliances avec des acteurs déjà implantés.

« Un peu plus de la moitié de l’assortiment est décidé par les équipes en local »

À qui avez-vous déjà pensé ? Et l’implantation se fera-t-elle uniquement sur des territoires francophones ?

Pas forcément. Pour le moment, je n’ai donc pas d’exemples ou de noms à partager. Mais d’ici cinq ans, l’idée est de remettre les pieds à l’international, sans forcément reproduire le modèle Cultura tel que nous le connaissons en France. Copier-coller notre concept dans un pays d’Europe de l’Ouest, par exemple, n’est pas le seul chemin possible. Il faut être capable d’adapter notre modèle à chaque culture, comprendre les attentes des consommateurs, évaluer l’offre existante…

Cultura Mérignac
En moyenne, la surface des magasins Cultura est établie à 2200 m². Celui de Mérignac, aux portes de Bordeaux, est situé tout près du siège social du groupe, sorte de vitrine de l'enseigne.- Photo ELODIE CARREIRA

Et à l’échelle nationale, avez-vous d’autres projets d’expansion ?

Aujourd’hui, nous comptons 109 magasins intégrés et cinq franchisés. Récemment, nous avons ouvert à Frouard, près de Nancy, et trois autres ouvertures sont prévues d’ici la fin 2025 : à Perpignan Sud cette semaine, puis à Blois et à Sainte-Eulalie qui sera notre quatrième magasin à Bordeaux. Nos franchisés sont quant à eux implantés en Martinique, Guadeloupe, Guyane, en Corse, tandis qu’en métropole, un premier franchisé a ouvert à Sarrebourg, en Moselle, en fin d’année dernière. D’ici cinq ans, nous avons l’ambition d’ouvrir 60 magasins supplémentaires, dont moins de la moitié sous franchise. Si les franchisés devront se conformer à un cahier des charges, les libraires conserveront une liberté de choix comme c’est déjà le cas dans nos magasins actuels, où un peu plus de la moitié de l’assortiment est décidé par les équipes en local.

Le développement de la franchise est plutôt récent dans l’histoire de Cultura. Qu’est-ce qui a motivé son déploiement ?

Le premier franchisé a vu le jour en 2019 à Cayenne, en Guyane. Les magasins dans les territoires ultramarins ouvrent fréquemment sur ce modèle. En métropole, la démarche est en effet plus récente. Notre volonté est de trouver des partenaires qui partagent notre vision du métier et notre mission : faire vivre la culture et la rendre accessible au plus grand nombre. Ces partenaires doivent ainsi nous permettre d’accéder à de nouvelles zones. Il peut s’agir, par exemple, de partenaires opérant déjà avec d’autres enseignes et qui souhaitent compléter leur offre en centre commercial en proposant un nouveau métier.

« Nous sommes et nous resterons un modèle omnicanal »

Économiquement, qu’est-ce que cela change pour vous ?

C’est aussi un moyen de nous développer avec moins d’actifs investis, ce qui nous permet donc d’investir ailleurs. Par exemple, depuis 2023, nous travaillons à la refonte complète de notre architecture informatique. D’ici l’année prochaine, nous aurons donc basculé l’ensemble de nos ERP sur SAP. C’est un projet dans lequel nous nous sommes lancés pour intégrer de nouveaux outils, concevoir une nouvelle façon de piloter et d’approvisionner notre offre, de rendre possibles nos ambitions internationales ou notre capacité à nous interconnecter avec des partenaires.

Click and collect Cultura
Depuis 2020, Cultura a généralisé son offre de click and collect à l'ensemble de ses magasins.- Photo CHARLES KNAPPEK

En mai dernier, vous annonciez également l’inauguration, en 2028, d’une plateforme logistique de 70 000 m² à Ferrières-en-Gâtinais, pour distribuer les produits de l’enseigne. Cette création vise-t-elle à accompagner la montée en puissance des ouvertures de nouveaux magasins ?

Un nouvel entrepôt verra le jour au sud de Paris en 2028, avec une pleine charge à partir de 2029. Jusque-là, nous disposions d’un site de 30 000 m². La partie retail était confiée à un prestataire externe, Kuehne & Nagel. Avec cette nouvelle plateforme, nous serons en mesure d’assurer 100 % de notre activité, ce qui ne modifiera pas nos livraisons avec Prisme pour le livre. Nous sommes et nous resterons un modèle omnicanal. Cet entrepôt doit donc nous permettre de gagner en efficacité sur la supply chain, mais aussi d’améliorer nos performances digitales, en livrant mieux et plus vite. Globalement, nos clients se disent satisfaits de nos services. Pourtant, malgré les quatre millions de références disponibles sur notre site et notre marketplace, lancée il y a un peu plus d’un an, l’e-commerce représente encore moins de 10 % de notre chiffre d’affaires. Nous avons donc une forte marge de progression.

Aujourd’hui, le secteur de la librairie traverse une période de fortes tensions, marquée par de multiples difficultés économiques qui menacent son équilibre. Qu’en est-il de Cultura ?

Cultura se porte plutôt bien, même si cela suppose un combat de tous les jours. Plus que jamais, il faut être attentif aux besoins des clients, aller les chercher, comprendre leurs besoins, s’adapter et faire évoluer notre pratique du métier. Dans l’ensemble, nous résistons mieux que la moyenne : la part du livre dans notre chiffre d’affaires reste stable. La librairie représente, de très loin, la véritable quille du bateau. D’ailleurs le livre occupe environ 40 % de la surface commerciale de nos magasins, dont la taille oscille entre 850 et 6 000 m² pour le plus grand.

« Notre ambition n’est pas de venir percuter l'écosystème des librairies indépendantes ! »

Le projet d’ouverture d’un Cultura à Villars, dans la Loire, a récemment été rejeté par les commissions départementale et nationale, à la suite de la mobilisation de 16 librairies indépendantes de la région. Quelle a été votre réaction à cette issue ?

Nous sommes déçus. Nous pensions avoir un rôle à jouer sur une friche commerciale à laquelle nous comptions redonner vie. D’ailleurs, beaucoup de citoyens ont exprimé leur regret de ne pas voir le projet aboutir. Je reste néanmoins convaincu que Cultura a des choses à faire dans l’agglomération de Saint-Étienne.

De façon générale, vos récentes annonces de projets d’ouvertures ont suscité le mécontentement de librairies situées dans les zones alentours, qui y voient une menace pour leur activité. Que leur répondez-vous ?

Pour commencer, je tempérerai en rappelant qu’en 27 ans d’existence, nous avons ouvert 109 magasins, ce qui, au regard du nombre de librairies françaises – et c’est très bien, il faut préserver ce maillage – reste raisonnable. Je rappelle également que Cultura est une entreprise française, familiale, indépendante qui investit dans des surfaces physiques, et qui recrute des collaborateurs qu’elle forme. J’ai beaucoup de respect pour nos confrères, et je peux comprendre qu’il y ait des inquiétudes, mais en réalité, je crois que nous sommes avant tout complémentaires. Cultura ouvre uniquement en périphérie, là où, historiquement, il existe un déficit d’offre culturelle.

Lire aussi : En Occitanie, les librairies indépendantes inquiètes de l'arrivée de grandes surfaces culturelles

Ces dernières années, l’essor des zones commerciales en périphérie a néanmoins contribué à la dévitalisation des centres-villes, affectant directement l’attractivité de leurs commerces, dont les librairies…

Il est vrai que beaucoup de commerces se sont développés en périphérie ces dernières années, ce qui a challengé le centre-ville. Je pense toutefois qu’au-delà de l’objectif que nous partageons avec les librairies – faire vivre la culture et rendre la lecture accessible –, nous possédons chacun nos singularités. La nôtre consiste à abriter sous le même toit toutes les formes de culture, dont le livre. Je ne crois pas qu’on puisse stigmatiser une enseigne en particulier et la tenir pour seule responsable des difficultés rencontrées. Si l’on regarde les chiffres, on constate tout de même une importante densité de librairies. Notre ambition n’est absolument pas de venir percuter cet écosystème ! Nous sommes nous-mêmes, en tant que grande surface culturelle, challengé par de nouveaux entrants sur nos marchés, physique comme digital. Or, nous pensons que pour faire face à ces nouvelles formes de concurrence, il faut continuer à appréhender les besoins de nos clients, tout en différenciant notre offre.

En 2024, vous repreniez le Forum du Livre à Rennes. Dans quelle mesure la reprise de commerce existants fait-elle partie de vos axes de développement ?

Aujourd’hui, l’implantation en centre-ville ne fait pas partie de notre savoir-faire. Néanmoins, nous ne nous interdirons rien dans les années à venir. Il peut y avoir une librairie en difficulté ou un acteur qui veut céder son magasin et n’y parvient pas. Dans ce cas, nous sommes tout à fait disposés à écouter les personnes qui nous solliciteront. À condition que nous estimions être le bon partenaire et que cela fasse sens pour les lecteurs et le territoire. C’est ce qui s’est produit pour le Forum du Livre, qui vient de fêter ses 40 ans d’histoire et que nous avons repris avec l’équipe et le nom d’origine. Nous n’avons pas transformé le lieu en un nouveau Cultura, nous leur avons simplement donné le moyen de relancer et de poursuivre l’activité. À l’exception de quelques articles de papeterie, la marque Cultura n’y figure pas et son nouveau dynamisme est avant tout le résultat d’une équipe qui a eu à cœur de redéployer l’enseigne.

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