Disparition

Albert Uderzo est mort

Albert Uderzo en 2009 - Photo Olivier Dion

Albert Uderzo est mort

Le dessinateur d'Astérix s'est éteint aujourd'hui à l'âge de 92 ans.

Par Vincy Thomas
Créé le 24.03.2020 à 19h38

Le dessinateur d'Astérix est mort à l'âge de 92 ans, annonce sa famille mardi 24 mars. Né Alberto Aleandro Uderzo, le 25 avril 1927 à Fismes (Marne), il était l'un des plus grands parmi les dessinateurs et auteurs de bande dessinée français.

Avec Jean-Michel Charlier, Uderzo avait créé la série Tanguy et Laverdure. Mais c'est avec le scénariste René Goscinny qu'il va devenir l'un des monuments de la bande dessinée franco-belge. Après avoir créé ensemble la série Oumpah Pah, les deux auteurs, également amis dans la vie, inventent les aventures d'Astérix et des irréductibles Gaulois. De 1959 à 1977, Albert Uderzo a dessiné vingt-quatre albums d'Astérix sur des scénarios de Goscinny. A la mort du scénariste, il reprend seul la réalisation de ses aventures à partir de 1980, pour huit albums, avant de passer la main au tandem Jean-Yves Ferri - Didier Conrad. Il continuait cependant à exercer son droit de regard sur le scénario et le dessin.

Publié dans 111 langues et dialectes, Astérix demeure la bande dessinée la plus traduite au monde, mais aussi la plus populaire avec 380 millions d'albums vendus, de 1959 à 2019.

Officier de la Légion d’honneur, Grand prix de la ville d’Angoulême (prix spécial du millénaire) en 1999, prix Max et Mortitz exceptionnel pour son œuvre, Uderzo est l’un des rares Français à être entré au Temple de la renommée Will Eisner, panthéon de la BD outre-Atlantique.
 
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Les débuts

Il découvre la bande dessinée en lisant Mickey Mouse dans Le Petit Parisien et entre rapidement dans la presse où il apprend son métier, de la retouche d’image au lettrage. Sa première illustration publiée est un pastiche du Corbeau et du renard pour l’hebdomadaire Junior, en 1941. Obligé de se réfugier en Bretagne durant la Seconde Guerre mondiale, il arpente les Côtes-du-Nord, qui deviendront bien plus tard le lieu d’inspiration pour le village d’Astérix.

A la sortie du conflit, il publie sa première histoire, Flamberge, gentilhomme gascon. Il créé ensuite Clopinard pour un recueil de gags paru aux éditions du Chêne. Il fait ses armes essentiellement dans la presse, souvent dans le registre humoristique, avec des personnages parfois aux muscles surdéveloppés comme Zidore l’homme macaque, Arys Buck, le prince Rollin… Il dessine, croque, illustre pour France Dimanche, France-Soir, Bravo !, La Wallonie… de quoi améliorer son style, son trait. Sa série Belloy, avec Buck et Rollin, reprend du service avec le scénariste Jean-Michel Charlier.
 
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Le compère Goscinny

En 1951, il croise René Goscinny. Tout les différencie a priori, à commencer par leurs origines : l’Italie et la Pologne. Pourtant, ils ont en commun Walt Disney, les stars du cinéma muet, comme Laurel et Hardy, et un amour immodéré pour la BD. Coup de foudre mutuel. Une rencontre « primordiale et décisive », selon Uderzo. Ils boivent tous les deux la même potion magique. Naîtront le corsaire Jehan Pistolet, le reporter Luc junior, l’amérindien Oumpah-Pah.

On note alors que son style s’affirme. Sa passion pour le cinéma d’animation et les comédies burlesques produisent un dessin basé sur des décors assez simples et des personnages aux formes presque caricaturales et aux corps continuellement en mouvements. Il ne cherche pas forcément le réalisme ou l’épate avec un graphisme complexe ou épuré. Uderzo, longtemps snobé par ses confrères, éclipsé par le génie scénaristique de Goscinny, a souffert d’être moins reconnu qu’un Franquin, qui trouvait son dessin « prodigieux », ou un Hergé.
 
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Un style à part

Pourtant, la vivacité de son trait, la fluidité qu’il impose aux récits, l’enchaînement narratif qu’il construit à travers ses cases, le distinguent de tous. Il sait créer du suspens, capter le lecteur, faire rire, tout en restant dans le bon goût. Il y a, dans ses lignes courbes, une rondeur rassurante, généreuse et élégante, là où le dessin d’Hergé était rigide et celui de Sempé minimaliste. On retrouve dans le dessin d’Uderzo ce qui fait le bonheur des amateurs de cinéma burlesque des années 1920 et 1930 : du nerf et de la vigueur, de la rigueur et de la précision. C’est à la fois expressif et efficace. Le lecteur est immédiatement happé par son talent à faire rire, soit avec les situations soit avec les dialogues, sans jamais dévier de l’histoire. Ce gagman visuel, autodidacte, conseillé dans sa jeunesse par Edmond-François Calvo, éduqué par Goscinny aux comics comme ceux du magazine Mad, influencé par Milton Kaniff et Walt Disney, a su transformer la bande dessinée franco-belge en un art populaire, s’adressant à tous les publics, sur plusieurs décennies.

Et c’est bien grâce à son talent mis au service d’un résistant gaulois que Uderzo va entrer dans la légende du 9e art. Mais avant de chasser le sanglier, Uderzo passe les années 1950 dans diverses aventures : Tom et Nelly, enfants du siècle (le journal Risque-Tout, Dupuis), Marco Polo, Benjamin et Benjamine, Bill Blanchart, Clairette ou encore Banjo 3 ne répond plus, avant-goût de Tanguy et Laverdure ... Mais il ne parvient pas à entrer à Spirou, contrairement à ses amis Morris et Franquin. Pour Le journal de Tintin, avec Goscinny, il imagine des mini-histoires de familles et réinventent Oumpah-Pah. En 1959, il participe au lancement de Pilote, où il illustre Tanguy et Laverdure, scénarisé par Charlier, et Astérix, écrit par Goscinny.
 
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L'aventure Astérix

Astérix le Gaulois est né, avec ses citations en latin, sa dose de potion magique, ses menhirs et ses camps romains. Le héros moustachu sera édité en album dès 1961, fort du succès grandissant de la série. « Astérix est à l'image du Français tel que l'image d'Épinal l'a popularisé à l’international, et tel que René et moi souhaitions le caricaturer. Il a du caractère, et ce caractère, c'est bien le nôtre », expliquait-il, en rappelant : « On s’est servi de l’esprit gaulois pour rigoler des défauts de ce peuple fort en gueule et volontiers querelleur. »

Le succès est d’ailleurs tel qu’Uderzo va vite se concentrer sur les aventures du valeureux Gaulois sans âge et éternellement célibataire. Il abandonne toutes les autres séries au fil des années 1960. A raison d’une histoire par an, Astérix devient rapidement un phénomène de l’édition, le coupant alors des autres dessinateurs, et l’enrichissant parallèlement (il partageait avec Goscinny la moitié des droits d’auteurs au-delà des 300000 exemplaires vendus). Des produits dérivés, des dessins animés, d’abord chez Belvision puis au sein des Studios Idéfix : les deux auteurs contrôlent toute la chaîne. Goscinny va jusqu’à dénoncer son contrat avec l’éditeur Dargaud en 1977, interrompant de facto la fabrication d’Astérix chez les Belges. La disparition du scénariste contraindra Uderzo à céder les planches manquantes de l’album, qui sera le dernier édité par la maison.
 
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En solitaire

Albert Uderzo fonde alors les Editions Albert René (un cinquième des parts est réservé à la veuve de René Goscinny, Gilberte), qui publiera tous les autres albums de la saga gauloise. Les relations avec Dargaud restent tendues pour les tirages des anciens albums comme pour les traductions. Après des années de procès, à la fin des années 1990, la justice condamne Dargaud à verser 5,5 millions de dommages et intérêts pour avoir dissimulé des droits d’auteur à l’étranger.

Il faut dire qu’Uderzo s’est toujours méfié des éditeurs. Dès les années 1950, avec Goscinny et Charlier, ils souhaitent créer un syndicat des dessinateurs de bande dessinée pour obtenir les mêmes garanties dans une profession pas vraiment régulée. Ils veulent notamment  remettre en cause le principe du copyright selon lequel l'ensemble des œuvres et des séries produites sous l'égide d'une agence lui appartient. Cela leur vaut à l’époque d’être placés sur une liste noire des éditeurs.

Après le conflit juridique contre Dargaud, Uderzo est là encore considéré comme l’empêcheur de tourner en rond, à la fois cupide, procédurier et égoïste. Nombreux sont les dessinateurs qui prennent la défense de l’éditeur et affichent alors leur mépris pour le dessinateur, dévalorisé publiquement. Claire Brétécher sera l’une des rares à le soutenir. Mais cela lui coûtera beaucoup en terme d’images.
 
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La galère

Uderzo est assiégé, comme Astérix, et s’enferme une fois de plus dans sa tour d’ivoire. Les albums d’Astérix, qui plus est, faiblissent en qualité. Il n’y a plus Goscinny. Leur collaboration stimulait leur créativité à partir d’une idée, une ligne directrice. Si le scénariste apportait la richesse d’une lecture à plusieurs niveaux, s’adressant aux enfants comme aux parents, le dessinateur contribuait à rendre l’histoire plus drôle et plus vivante.

Orgueilleux sans doute, il avait poursuivi les aventures avec panache. Le secteur de la BD, à l’instar de toute la culture populaire, connaît alors une explosion des ventes. Les tirages d’Astérix dépassent désormais les 7 chiffres. Mais le 8e album, Le ciel lui tombe sur la tête, en 2005, est celui de trop. Avec ses influences SF et mangas, anachroniques et surréalistes, Uderzo est vilipendé par la critique et les fans. En flirtant avec de nouveaux genres, Uderzo démontre qu’il ne sait pas où emmener ses héros, devenus au fil des histoires des anti-héros, et se détache des fondamentaux de la série.

Le triomphe est pourtant toujours au rendez-vous et les ventes de plus en plus hautes.
 
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Les guerres d'héritage

Mais Uderzo va connaître un nouveau genre de guerre. Sa fille Sylvie, gérante et coactionnaire des éditions Albert René s’oppose à lui. Elle se voit évincer de la gestion de la maison. En 2008, il décide avec Anne Goscinny de revendre leurs parts à Hachette Livre. Dépossédée du patrimoine éditorial, Sylvie Uderzo entame alors une longue procédure contre son père. Elle sera déboutée en 2014.  Entre temps, Albert Uderzo voit sa main douloureuse le trahir : il ne peut plus dessiner. Il souffre depuis plusieurs années de problèmes d’articulation, ce qui l’avait contraint à travailler avec des assistants pour l’encrage notamment.

Lui qui avait affirmé qu’Astérix ne lui survivrait pas, décide de passer le flambeau à Didier Conrad et Jean-Yves Ferri. « Comme on dit "il faut rendre à César ce qui appartient à César", j'ai envie de dire: Il faut rendre Astérix à ses lecteurs. Car c'est à eux qu'il appartient... Et pas à moi », justifie-t-il. Les deux auteurs signent depuis 2013 les nouvelles aventures d’Astérix, dont la dernière, La fille de Vercingétorix, a été bien accueillie par la critique. A chaque parution, forts de leur tirage mondial à cinq millions d’exemplaires, les albums dominent les ventes annuelles dans plusieurs pays, dont la France. Il continue de donner son avis aux auteurs avant la publication des albums.
 
Astérix et Obélix apprenant l'attentat de Charlie Hebdo
Le temps des hommages

De temps en temps, il fait une sortie publique. A travers un dessin pour rendre hommage à Cabu, mort dans les attentats de Charlie Hebdo, ou pour l’avant-première d’un film Astérix. Le dernier, Le secret de la potion magique, a attiré 7,5 millions de spectateurs dans le monde. Guillaume Canet doit réaliser le prochain. Astérix est devenue une marque globale, avec ses albums spin-offs, son parc d'attraction populaire, ses adaptations audiovisuelles, ses déclinaisons en timbres, publicités, ou expositions.

Aujourd’hui, il a un prix à son nom. Nombreux sont les dessinateurs qui le revendiquent comme influence, de Boucq à Loustal en passant par Guarnido, Cauvin, Margerin...

Il laisse une trace indélébile dans la société, au-delà des cases et des bulles. Sans doute parce qu’il a rempli les lectures de millions d’enfants et d’adultes. Mais aussi parce que son esprit farouchement indépendant et son caractère très français, reflet du tempérament d’Astérix, l’a conduit à être une icône du patrimoine culturel.
 

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