Si l’on excepte le très atypique Anniversaire d’Astérix et Obélix, paru en 2009 pour les 50 ans des célèbres héros, huit ans sont passés depuis la parution du dernier « vrai » Astérix. Avec son scénario invraisemblable, faisant apparaître des ovnis, des personnages de mangas et des superhéros de comics américains dans le ciel du village gaulois, Le ciel lui tombe sur la tête marquait une rupture radicale avec les codes de la série créée en 1959 par René Goscinny et Albert Uderzo. Il avait été accueilli fraîchement par la presse et le public, même si l’éditeur revendiquait 2,7 millions d’albums vendus en français. Mais il faut reconnaître à son titre sa dimension fortement prémonitoire : en huit ans, l’univers du petit Gaulois au grand cœur et aux longues moustaches et de son compagnon à l’appétit gargantuesque s’est effectivement effondré. Les tensions récurrentes entre Albert Uderzo et son gendre Bernard de Choisy, d’abord chargé de la communication sur les albums avant de jouer un rôle croissant dans le dispositif éditorial et commercial, ont fait exploser la gouvernance des éditions Albert-René, créées en 1979 par Albert Uderzo pour exploiter tous les droits d’Astérix. En 2007, le dessinateur licencie de son poste de directrice générale sa fille Sylvie Uderzo. Des procédures sont lancées de part et d’autre devant les tribunaux. Dans la foulée, Albert-René passe en deux temps (voir encadré) sous le contrôle d’Hachette Livre, auquel Albert Uderzo a décidé de confier la destinée de la série.
La série appartient à ses lecteurs.
Le groupe détient désormais l’ensemble des droits d’édition et dérivés d’Astérix. Un actif non négligeable puisque la série de 34 albums, traduite dans 110 langues et dialectes, a généré 350 millions de volumes vendus, 8 films d’animation, 4 films « live », le parc Astérix à Plailly, dans l’Oise, et actuellement 100 licences dans tous les domaines. Cerise sur le gâteau, Albert Uderzo, changeant d’avis sur le sujet, a autorisé Hachette Livre à poursuivre la série avec de nouveaux auteurs. « De nombreux lecteurs m’ont fait remarquer que la série appartenait désormais à ses lecteurs », a justifié dans Livres Hebdo le dessinateur (1), qui a fêté le 25 avril dernier ses 86 ans. Le groupe s’est donné tous les moyens d’aborder cette responsabilité particulière dans les meilleures conditions. « Notre souhait à tous est que les nouveaux albums conservent le caractère artisanal qui a fait le succès d’Astérix, qu’ils soient l’œuvre d’auteurs et signés par eux : il n’est pas question de basculer dans une logique de studio et de produit industriel », insiste Isabelle Magnac, membre du comité exécutif international d’Hachette Livre et directrice des branches Encyclopédies & collections et de Hachette Illustré, et qui coiffe directement la stratégie Astérix en tant que gérante d’Albert-René. « Nous voulons que les nouveaux albums soient rares, à la hauteur de ce qui a déjà été publié », précise-t-elle. Les parutions seront espacées « entre deux et quatre ans », en fonction du rythme de travail des auteurs, et « il n’y aura pas de spin off », assure-t-elle.Après une « saison 1 » qui court jusqu’à la mort prématurée, à 51 ans, au cours d’un test d’effort, de René Goscinny, en 1977 (les 24 premiers albums publiés chez Dargaud avant de passer chez Hachette), et une « saison 2 » où Albert Uderzo est resté seul aux commandes de la série (10 titres chez Albert-René), Astérix entame ainsi, toujours chez Albert-René, sa « saison 3 » avec un nouveau duo d’auteurs. Coïncidence amusante : l’un et l’autre sont nés en 1959, comme Astérix. Le scénariste a été trouvé dès 2011. Jean-Yves Ferri, qui est aussi dessinateur par ailleurs, a commencé dans la presse enfantine avant de se faire connaître chez Fluide glacial avec Les fables autonomes et surtout son policier rural, Aimé Lacapelle. Chez Dargaud, il scénarise Le retour à la terre, dessiné par Manu Larcenet, et signe seul le fameux De Gaulle à la plage, auquel il donnera en fin d’année une suite, De Gaulle à Londres. Le choix du dessinateur du nouvel Astérix s’est révélé plus compliqué. Pilier du studio constitué par Uderzo, Thierry Mébarki, pressenti dans un premier temps, a dû renoncer. « Il a fait plusieurs essais, mais le trait d’Albert Uderzo est particulier, observe Isabelle Magnac. C’est une chose de reproduire Astérix pour des dessins de merchandising, et une autre de construire une planche de bande dessinée avec ses dimensions narratives. » Collaborateur de longue date du Journal de Spirou, dessinateur de nombreux albums dont, chez Dargaud, les séries Les innommables avec Yann, Tigresse blanche ou Raj avec Wilbur, et également riche d’une expérience dans l’animation, pour Dreamworks, Didier Conrad est finalement choisi in extremis en août 2012. « Il a relevé le défi dans des délais très courts », admet Isabelle Magnac. Avec en outre la difficulté d’une collaboration à distance car le dessinateur vit et travaille depuis plusieurs années à Los Angeles.
Effet de surprise.
Du nouvel album, lancé le 24 octobre prochain à 1,5 million d’exemplaires « au moins », annonce-t-on chez Hachette, on ne sait encore que le titre, Astérix chez les Pictes. Il permet d’imaginer que les héros gaulois vont y faire un petit séjour en Ecosse. Hachette a demandé aux auteurs un retour aux fondamentaux, « une vraie histoire avec quelque chose de nouveau, ce qui n’est pas évident car Astérix et Obélix ont déjà beaucoup voyagé ; tout en respectant le code d’humour de la série dans lequel il est difficile de s’insérer car il est très figé », explique Isabelle Magnac. Alors que l’album est « quasi fini », la directrice d’Hachette Illustré et gérante d’Albert-René estime que Jean-Yves Ferri et Didier Conrad ont « pleinement rempli le contrat pourtant d’une énorme difficulté ». Ce sera « très drôle, très sympathique, très fidèle à l’œuvre », se réjouit-elle.Comme pour chaque nouvel Astérix, on n’en saura pas plus. Après une présentation du projet à la fin de mars lors de la dernière Foire internationale du livre de jeunesse de Bologne, Albert-René distillera d’ici à l’été quelques dessins du futur album pour « rassurer le lecteur très en amont sur le fait que se sera vraiment du Astérix », indique Isabelle Magnac. Mais « il n’y aura pas de prépublication, on préservera l’effet de surprise ». Le lancement est prévu sur le plan mondial à une échelle inédite. Astérix sortira simultanément le jeudi 24 octobre dans 23 langues (2), auxquelles s’ajouteront en décembre le chinois et le turc. En France, la prospection commerciale a démarré dès le début d’avril. L’album de 48 pages (44 planches), au prix public de 9,90 euros, bénéficiera d’un office spécial, distinct de l’office Hachette hebdomadaire, pour assurer avec plusieurs dizaines de camions une mise en vente simultanée sur tout le territoire. Auparavant se développera une intense campagne de promotion, articulée autour du site www.asterix35.com, inauguré pour la Foire de Bologne. Une campagne auprès des fans de BD sera lancée dès juin sur Internet avant une « grosse campagne de relations publiques, une campagne d’affichage et beaucoup de PLV ». Une master class permettra à la presse de rencontrer les auteurs trois semaines avant la parution qui sera marquée par une soirée « avec du public sur invitation ». L’éditeur allemand Egmont Ehapa prépare un événement grand public pour la Foire du livre de Francfort au début d’octobre. Il faut bien cela pour un titre qui s’imposera forcément, à l’heure du bilan, comme la meilleure vente de livres de 2013. <
(1) Voir « Ce n’est pas à moi d’arrêter Astérix », interview d’Albert Uderzo dans LH 791, du 2.10.2009, p. 14-17.
(2) Afrikaans, allemand, anglais, bable, basque, brésilien, castillan, catalan, danois, finnois, français, gaélique, galicien, gallois, hongrois, italien, néerlandais, norvégien, polonais, portugais, scots, suédois, tchèque.