Livres Hebdo - Comment le groupe Editis traverse-t-il cette période difficile pour le secteur du livre ?
Alain Kouck - Editis se porte bien. Avec un chiffre d’affaires d’environ 700 millions d’euros, 2012 a été une année conforme à nos objectifs. Le groupe repose sur trois secteurs, la littérature, l’éducation et la référence, et les services, qui représentent environ chacun un tiers de son activité. C’est ce qui fait sa solidité.
2013 sera pour l’édition une année plus complexe, à cause des incertitudes économiques et du marché du livre, mais aussi par l’absence de réforme scolaire. Mais dans un environnement qui continue d’évoluer, du fait du e-commerce, du numérique, de la santé fragile de nos clients - comme en témoigne la défaillance de Virgin -, le groupe affiche une vision stratégique bien précise, en privilégiant la création et l’innovation. C’est un parti pris que nous allons développer et accélérer.
N’était-ce pas le cas jusqu’à présent ?
Si, mais nous voulons amplifier cette stratégie et en faire une priorité. Aujourd’hui, Internet a mis le consommateur au centre. En 2013, pour acheter un livre, les lecteurs ont le choix : ils peuvent aller l’acheter dans une librairie, un magasin physique ou sur un site de vente en ligne, le lire sur papier ou sur un support numérique, et ils peuvent aussi le payer moins cher avec l’offre numérique. Jouant sur tous ces tableaux, les nouveaux acteurs de la distribution ont les moyens de cerner les goûts et les comportements des consommateurs et ont la tentation de transformer ce marché de l’offre en un marché de la demande. Estimant, dès lors, qu’on peut supprimer les intermédiaires, ils invitent les auteurs à travailler en direct avec eux.
Nous ne pouvons pas rester statiques. Nous sommes bien dans un marché d’offre avec nos auteurs et nous devons y rester. Il est impératif de pouvoir attirer de nouveaux auteurs, de nouveaux éditeurs, des talents qui nous permettent de garder cette séduction auprès des lecteurs. Nous avons un très bel exemple français avec la création du livre de poche. Aucune innovation majeure n’est venue de la demande.
Comment cela va-t-il se traduire ?
Nous travaillons sur les évolutions nécessaires dans nos maisons d’édition pour que ces objectifs-là soient bien prioritaires. Nous voulons donner à nos éditeurs les moyens de se développer et de renforcer les équipes de création. C’est une exigence d’excellence que l’on doit retrouver dans l’ensemble de la chaîne. Bien sûr, dans la découverte, le choix des œuvres, mais aussi dans la réalisation des ouvrages. Dès lors que, avec le numérique, les prix sur les contenus baissent, il faut en parallèle que l’objet livre soit parfait pour séduire et respecter le lecteur. Nous devons aussi être exigeants sur le nombre de publications. Pour que le libraire reste notre principal prescripteur, il faut qu’il puisse soutenir la création éditoriale, et c’est à nous de lui proposer les meilleures œuvres et de ne pas lui demander l’impossible.
Craignez-vous la concurrence d’Amazon sur votre propre terrain, à savoir la production ?
Amazon déclare vouloir capter les auteurs. Ils auront du mal à se transformer en éditeurs, mais ils en ont la volonté. Il faut donc que nous soyons très vigilants, que nous sachions séduire les auteurs, et défendre notre savoir-faire d’éditeur.
Quelles mesures mettez-vous en place dès aujourd’hui ?
Ce sont des mesures de bon sens classiques dans un marché difficile, c’est-à-dire en étant très vigilants sur les coûts de fonctionnement pour conserver nos capacités d’investissement dans la création, ainsi que dans les plans de soutien à la librairie.
Nous recherchons aussi des effets de taille qui nous permettent de faire plus confortablement face à la concurrence pour attirer des auteurs ou pour investir significativement dans le numérique. C’est une des raisons qui nous a poussés à rapprocher les sociétés Plon-Perrin et First-Gründ, dont la fusion sera effective fin juin. L’ensemble représentera un chiffre d’affaires de 60 millions d’euros. C’est aussi nécessaire pour saisir les opportunités qu’offrent toujours des marchés en mutation.
Depuis le départ de Leonello Brandolini, vous assurez la présidence de Robert Laffont, avec Pierre Dutilleul comme directeur général. Quelles autres décisions souhaitez-vous prendre ?
Pour l’instant, nous sommes dans une période d’analyse. Nous prendrons les décisions progressivement. On a de formidables éditeurs, mais il faut donner à cette maison les moyens de déployer à l’avenir son formidable potentiel et retrouver les chemins de la croissance.
Y a-t-il des regroupements prévus place d’Italie ?
Après le déménagement de la direction générale en 2010, Plon-First viendra bien place d’Italie, mais à une date qui reste à déterminer. Rien n’a été formalisé pour les autres maisons.
Comment s’inscrit la stratégie d’Editis dans celle de Grupo Planeta ?
Nous avons la chance d’avoir un actionnaire, le groupe Planeta, qui est éditeur et avec qui nous partageons la même stratégie. En plus, le groupe Planeta est l’un des principaux acteurs du livre sur le plan européen. Il y réalise 85 % de son chiffre d’affaires de 1,7 milliard en 2012. L’Espagne et la France sont deux pays qui partagent la même sensibilité sur le droit d’auteur, sur la TVA, la propriété intellectuelle, Amazon, etc. C’est une force pour discuter devant la Commission européenne. Nous avons mis en place avec succès un certain nombre de synergies qui fonctionnent bien, comme sur les achats de papier. Cette vision partagée est importante dans le numérique pour négocier des contrats avec les grands acteurs mondiaux, Google, Amazon... C’est pareil dans le domaine du piratage qui touche plus fortement l’Espagne. Nous allons aussi développer des projets en commun, dans le domaine du e-learning, par exemple. Et nous avons beaucoup d’autres projets.
Vous êtes membre du bureau du SNE. Etes-vous satisfait de l’action collective menée dans cette période cruciale ?
Notre force, c’est d’avoir un seul syndicat qui regroupe environ 600 maisons d’édition, avec une grande diversité de tailles, de secteurs, de personnalités et d’expériences. Nous pouvons nous réjouir de deux succès récents : l’adaptation du droit d’auteur au numérique et le soutien à la librairie. Editis est très engagé dans cette action collective, comme dans l’interprofession. Le « plan librairie », auquel notre groupe sera un des principaux contributeurs, de part sa taille et sa volonté, est exemplaire de la complémentarité entre les pouvoirs publics et les professionnels.
Il est plus nécessaire que jamais de développer l’action interprofessionnelle. Il faut déjà ouvrir la réflexion sur l’organisation traditionnelle du transport et de la plateforme Prisme remise en question par la chute des volumes de ventes et par la nécessité de réduire les délais de livraison. C’est vital pour la petite et la moyenne librairie. La gestion des commandes via Dilicom, qui risque à terme d’être affectée aussi par la baisse des volumes, demande également une grande vigilance. Enfin, la gestion des métadonnées, données par les éditeurs, est devenue une question stratégique. Ces métadonnées sont aujourd’hui complètement dispersées. Et nous devons très vite réfléchir et mettre en œuvre une action plus coordonnée qui facilite et simplifie l’accès à nos clients et nous permette d’en garder une meilleure maîtrise. Je salue le travail de l’Adelc, qui est dans le genre un modèle et qui répond très concrètement au problème de la transmission des libraires. Mais il faut aller plus loin et se donner les outils nécessaires pour favoriser la diversité et mieux résister au nouvel environnement créé par les nouvelles technologies.
C’est votre dixième année à la tête d’Editis. Comment envisagez-vous votre avenir ?
Nous avons encore de nombreux projets à mener chez Editis et Planeta, et j’ai la chance, pour cela, d’être entouré d’une équipe de talent, renforcée par l’arrivée de Guillaume Vicaire en tant que directeur général. J’ai également la confiance de Grupo Planeta. Et j’éprouve toujours une passion intacte pour ce métier et pour Editis. <