Édition indépendante

5 conseils d'éditeurs marocains à leurs homologues français

Kenza Sefrioui et Hicham Houdaïfa, coresponsables de la structure "En toutes lettres", au Maroc - Photo FatimaZahra Chabab

5 conseils d'éditeurs marocains à leurs homologues français

Alors que le Maroc sera à l'honneur au Festival du livre de Paris cette année, là-bas plus encore qu'ici l'indépendance est un sport de combat. Kenza Sefrioui et Hicham Houdaïfa, coresponsables de la structure En toutes lettres, nous montrent comment rester debout.

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Par Kenza Sefrioui, Hicham Houdaïfa
Créé le 20.02.2025 à 09h45

1. Semer le goût de lire

Quand nous avons lancé En toutes lettres en 2012, nous avions conscience que le défi majeur était de construire le lien entre le livre et les lecteurs, en particulier les jeunes. Au Maroc le secteur du livre est en déshérence faute d'une véritable politique publique qui aille au-delà d'une approche événementielle ou de diplomatie culturelle. Un chiffre : 240 bibliothèques pour près de 38 millions d'habitants, sans parler d'un système éducatif qui ne transmet pas le goût de lire. Or sans médiation, pas de lecteurs. Donc mieux vaut faire peu de livres et bien les accompagner. Notre contexte nous impose d'être très actifs pour la promotion, dans les librairies, les universités et la société civile, d'autant que nous sommes spécialisés dans l'essai en sciences humaines et sociales et en journalisme d'investigation, et publions des enquêtes qui éclairent les sujets de société contemporains au Maroc, justement pour développer la culture du débat.

2. Reconstruire les routes du savoir

Depuis 2018, nous avons arrimé notre activité d'édition à des programmes de formation, Openchabab, suivi de l'école de la pensée critique. Face aux défaillances des secteurs qui devraient contribuer à une société du savoir (école publique, recherche, presse indépendante), nous avons senti l'urgence, et notre responsabilité, de situer notre travail éditorial dans cet engagement citoyen. Nous renforçons les compétences de jeunes journalistes et de la société civile à l'investigation, à l'éducation aux médias et à l'information, à l'écriture, à la traduction. Nous avons créé des clubs dans les universités et faisons de notre catalogue la base de ces séances. Les étudiants vont à leur tour dispenser la formation dans des associations. Nous invitons les jeunes à prendre part à des ouvrages collectifs et faisons émerger une nouvelle génération d'auteurs et autrices.

3. Faire rayonner les humanités et la pensée critique

Nos livres promeuvent les valeurs humanistes et donnent la parole à celles et ceux qui les défendent à partir de notre société. Nous avons un plaidoyer à faire pour rappeler que l'égalité entre femmes et hommes, les libertés individuelles, la lutte contre l'extrémisme religieux, etc. ne sont pas, comme voudraient le faire croire ceux qui les combattent, « importées d'Occident ». Avec nos collègues de l'Alliance internationale des éditeurs indépendants, Dar Mohammed Ali en Tunisie et Dar Atlas en Syrie, nous portons un programme « Les Humanités arabes », soutenu par AFAC (Arab Fund for Arts and Culture), pour rendre visible la production arabe contemporaine progressiste sur une plateforme numérique qui sera mise en ligne le 23 avril 2026, à l'occasion de la journée mondiale du livre.

4. Penser en écosystème

Pour nous, la solidarité est essentielle et il ne s'agit pas seulement de la défendre dans nos livres, mais aussi de la mettre en pratique dans la manière de faire ces livres. Nous avons participé à l'élaboration du Guide des bonnes pratiques (www.alliance-editeurs.org/guide-des-bonnes-pratiques,1852) lors des dernières assises internationales de l'Alliance internationale des éditeurs indépendants à Pampelune en novembre 2021. La notion d'écosystème équilibré au niveau social, environnemental et symbolique y est centrale. Cela passe notamment par le respect de la chaîne du livre, le refus de l'ubérisation dans notre équipe en faisant appel aux mêmes compétences free-lance, des choix de fabrication aussi respectueux de l'écologie que possible... C'est aussi la participation aux initiatives qui peuvent créer de la solidarité interprofessionnelle, comme le Collectif de la nouvelle édition marocaine, ou encore des groupes de travail sur un plaidoyer pour une politique publique du livre. Nous allons également lancer une formation aux métadonnées afin de renforcer les capacités de nos confrères, offrant ainsi une meilleure visibilité de nos catalogues à tous.

5. Proposer de nouveaux cadres de réflexion

En toutes lettres se propose de produire à partir du Maroc un savoir sur la société marocaine contemporaine, en élaborant nos grilles d'analyse. Nos livres contribuent à la construction d'une société plus juste, en faisant entendre les voix de celles et ceux dont les droits ne sont pas respectés : femmes, enfants, personnes en situation de migration, sinistrés climatiques... Nous accordons une place essentielle au travail de la société civile qui est force de proposition pour faire face à ces défis.

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