À cinq heures de train d'Athènes, Thessalonique, la deuxième ville de Grèce, a clôturé la 21e édition du Thessaloniki International Book Fair (TBF) le 11 mai. Cet événement de quatre jours a exploré les thèmes de la créativité humaine et de l'intelligence artificielle. Et avait pour invitée d'honneur l'Italie, sa voisine à l'ouest, alors que Thessalonique, ville dynamique et estudiantine, multiplie les contacts avec les Balkans puisque sa région touche l'Albanie, la Macédoine du Nord, la Bulgarie et, plus à l'est, la Turquie.

Fondée au IVe siècle av. J.-C., Thessaloniki a été tour à tour macédonienne, romaine, byzantine, et ottomane. À cette période, elle devient la ville d'Europe avec la plus grande communauté juive à la suite de l'expulsion des Juifs d'Espagne. Une histoire riche et complexe qui se ressent encore aujourd'hui, comme le souligne Nopi Chatzigeorgiou, coordinatrice de la foire, « un événement culturel central en Europe du Sud-Est ».
La Grèce est dans une dynamique positive depuis sa sortie de la pandémie, qu'a précédé une crise financière existentielle longue de huit ans. Cette année, le Centre national du livre grec, intégré depuis la crise à la Fondation hellénique pour la culture, vit une sorte de renaissance à l'occasion de la Foire. Alors que le programme d'aide à la traduction, GreekLit, lancé en 2021, est désormais sous l'égide de la Fondation. À sa tête, le francophone Nikos Bakounakis, ancien de l'EHESS, professeur d'université, auteur, et spécialiste des techniques de « storytelling ».

Une trentaine de professionnels invités
Salon grand public à l'origine, le TBF a lancé voici trois ans un programme professionnel « maintenant bien établi », selon les mots de Nopi Chatzigeorgiou. Entre le jeudi et le samedi se sont tenues des rencontres entre une trentaine des professionnels, invités dans le cadre d'un fellowship, explorant des sujets comme la traduction et l'édition intereuropéenne. Plus particulièrement les échanges entre les pays méditerranéens et le nord de l'Europe ou l'impact de l'IA sur l'édition, avec comme invité star le pionnier du secteur Nadim Sadek.
Ont aussi eu lieu des conférences modérées notamment par Niki Théron, bien connue des habitués de la Foire de Francfort, sur les adaptations du livre au cinéma, avec Kallia Papadaki, écrivaine et scénariste, et Penny Panayotopoulou, réalisatrice (Sous Tension qui sortira en France le 20 août).
Au milieu de professionnels grécophones venus explorer ce qui se publie dans les maisons d'édition telles qu'Hestia, Patakis, Antipodes, ou Vakxikon, on croisait par exemple Paolo Zaninoni, directeur éditorial de la maison italienne Garzanti, passé par l'un des 700 lycées italiens qui font partie d'un réseau formidable où l'on enseigne encore le grec ancien et moderne. Ou encore Alexandra Büchler, directrice de Literature Across Frontiers, Laure Pécher, de l'agence Astier-Pécher, qui représente l'auteur Makis Malafékas (Asphalte), et Anne-Laure Brisac, traductrice, chargée de la collection de littérature grecque moderne a la BNF et fondatrice de la maison d'édition Signes et balises. Toutes trois étant passées par Thessalonique dans le cadre de leurs études.
Thessalonique-Alexandrie-Perpignan
Catherine Fragou de l'agence littéraire Iris, passeuse incontournable pour les maisons d'édition françaises depuis trente ans, a souligné lors d'un panel que la littérature grecque contemporaine doit « inlassablement lutter contre les stéréotypes touristiques et l'héritage antique ». Pour imposer l'identité contemporaine de ses écrivains et artistes. « Nous sommes en compétition avec nos ancêtres » conclut carrément Nikos Bakounakis.
La Grèce regarde également vers ses voisins du sud de la Méditerranée : fascinée par la cité hellénistique d'Alexandrie. Ainsi Dimitris Stefanakis a remporté le prix Méditerranée étranger en 2011 pour son livre Jours d'Alexandrie (Viviane Hamy). Alors que l'écrivaine et cinéaste Maria Iliou a réalisé le long métrage Alexandrie, une histoire d'amour. Et que l'écrivaine et traductrice de l'arabe Persa Koumoutsi, dont les grands-parents avaient émigré en Égypte, a vu son roman Alexandrie, rue des Étrangers traduit en italien cette année.

À la soirée de l'Institut français de Thessalonique nous avons retrouvé Laure Pécher et Anne-Laure Brisac accompagnées de l'universitaire et écrivaine Rika Benveniste, qui a rendu hommage à Louna, tante éponyme du témoignage revenant sur l'histoire collective de la communauté juive de Thessalonique, déportée sans retour par l'occupant nazi à partir de 1943. Cette tante Louna a, elle, survécu aux camps, tout comme Marcel Nadjari, autre auteur de Thessalonique, note Anne-Marie Brisac qui le représentait également.
Citons encore parmi les auteurs croisés lors de cette édition Neige Sinno, venue défendre la traduction grecque de Triste tigre ou le romancier grec Dimitris Sotakis, qui a reçu en avril dernier le Prix Méditerranée Étranger 2025 à Perpignan pour son roman Demi-cœur (Intervalles). Symbole d'une Grèce ouverte sur le monde et qui sera d'ailleurs l'invitée d'honneur aux salons du livre de Sharjah cet automne et de Turin en 2026.
Un aperçu du marché du livre grec
La production de livres grecs se stabilise à plus de 11 000 titres par an (11 312 nouveaux titres en 2024 d'après l'étude BookPoint). 94,6 % des publications restent imprimées, tandis que les formats livres électroniques (112 titres) et audiolivres (376 titres) demeurent embryonnaires. Parallèlement, le prix moyen du livre s'est élevé à 17,63 €, enregistrant une augmentation de 2,73 % très marquées dans des catégories comme les livres pour enfants et les livres scientifiques et éducatifs. La production de livres traduits a connu une légère augmentation, atteignant 3 579 titres (31 % de la production totale), l'anglais restant la langue principale des traductions, tandis qu'on observe également un renforcement des titres provenant du français, espagnol, allemand et italien. L'étude constate enfin que 45,78 % de la production provient des 38 premiers éditeurs, ce qui met en évidence la concentration de l'activité éditoriale grecque.