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Vivendi / Lagardère : entre 2002 et 2022, fausse ressemblance et vraies divergences (5/5)

Vincent Bolloré.

Vivendi / Lagardère : entre 2002 et 2022, fausse ressemblance et vraies divergences (5/5)

En 2002 s’ouvrait le long processus de rachat de Vivendi universal publishing (Vup, devenu Editis) par le groupe Lagardère. 2 ans de tractations ont suivi, bouleversant le paysage éditorial français. Dernier volet de notre saga avec une comparaison entre la situation de 2002-2004 et celle qui se dessine aujourd’hui.

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Par Pierre Georges,
Créé le 18.01.2022 à 17h06 ,
Mis à jour le 27.01.2022 à 16h59

Après avoir retracé, en 4 articles, la saga du rachat de Vup (Vivendi Universal Publishing, ex-Editis) par le groupe Lagardère en 2002-2004, Livres Hebdo a retrouvé quelqu’uns des acteurs de l’époque. Nous leur avons demandé d’analyser la situation actuelle, alors qu’en ce début d’année 2022, le groupe Bolloré s’apprête à lancer l’assaut sur Lagardère et Hachette. Tous mettent d’abord en avant une inversion parfaite de l’histoire, avec, sur le papier, des situations étonnamment similaires. Comme en 2002, les numéros 1 et 2 de l’édition française projettent de fusionner leurs activités. Comme en 2002, la question de poids dominant du nouvel ensemble pose problème, avec la distribution comme enjeu central. Comme en 2002, c’est l’ensemble de la chaine du livre qui est suspendu aux avis des autorités de la concurrence et regarde d’un œil inquiet les tractations. 

 

Pour autant, c’est bien là que se joue la différence majeure entre le rachat de Vivendi par Lagardère il y a 20 ans et celui de Lagardère par Vivendi aujourd’hui : la timidité des réactions. « Tout est beaucoup plus calme aujourd’hui, les réactions à ce qui se prépare sont rares, tardives. A l’époque, la levée de boucliers était immédiate et massive tant de la part des éditeurs que des libraires indépendants, des chaines, des groupements syndicaux mais aussi des pouvoirs publics ! », se souvient le patron d’une maison appartenant à l’époque au groupe Vup. « A l’Elysée, Matignon, aux ministères de la Culture et de l’Economie : il y avait une émotion. Je me souviens de cette réunion historique et homérique organisée au ministère de la Culture par Jean-Jacques Aillagon avec tous les concernés… », ajoute-t-il, évoquant aujourd’hui des réactions peu virulentes et tardives à l’image de celles du SLF et du SNE. 

La crainte de Vincent Bolloré ? 

Comment l’expliquer ? « Je me rappelle qu’à l’époque, Hachette était vu comme le bad boy, comme la pieuvre qui peu à peu s’emparait de toute l’édition française », se souvient de son côté Françoise Benhamou, économiste spécialiste du monde du livre. « Aujourd’hui, peut-être que l’on craint plus Bolloré qu’à l’époque Lagardère, peut-être aussi que l’on craint moins les ingérences éditoriales ».

 

Un constat que partage Jean-Clément Texier, à l’époque banquier d’affaires mandaté par le groupe Lagardère. « Aujourd’hui, on a un meneur, un donneur d’ordre qui dirige les débats. Si Jean-Luc Lagardère avait été là après 2003, la mobilisation et l’hostilité du monde du livre à l’époque aurait été beaucoup moins virulente ». Autre raison : « les acteurs sont restés les mêmes et ont vieillis, tout bêtement. Les phénomènes de consolidations sont rentrés dans les esprits, le paysage de l’édition s’est assagi, les temps ont changé… », ajoute le banquier d’affaires. 

Pour plusieurs dirigeants de l’édition française à l’époque, cette passivité observée aujourd’hui s’oppose aussi au climat « bouillant » dans lequel était alors plongé le secteur. « Nous étions 20 ans après la loi Lang et nous venions de connaître des années de guérillas, de bagarres et de procès invraisemblables entre les chaînes d’une part, Leclerc et Fnac en tête, et les éditeurs et libraires de l’autre. Lorsqu’arrive l’éclatement de Vivendi, la chaine du livre est encore déstabilisée, le contexte est fragile, tous les acteurs sont encore en conflit. Cela explique beaucoup pour moi la détermination de l’époque », raconte un éditeur qui préfère rester anonyme. 

Un contexte profondément différent 

Le paysage éditorial est également extrêmement différent de ce qu’il était à l’époque. Avec un élément principal : le poids d’Amazon, aujourd’hui en surplomb des autres acteurs et dont la domination sur le marché pèse sur la fusion. « Deuxième point fondamental : le rôle que joue aujourd’hui le numérique, au sens large, que ce soit sur le livre numérique, l’impression à la demande, l’auto-édition… Le paysage éditorial a bougé, le marché lui même a changé », analyse aussi Françoise Benhamou

 

Cette dernière voit aussi une différence majeure dans la vision des autorités de la concurrence : « il y a une pression politique pour que Bruxelles prenne mieux en compte le fait que l’Europe a besoin d’un champion. Contrairement à il y a 20 ans, nous avons les Gafam d’un côté, la Chine de l’autre, et cela change la donne ». 

L’histoire va-t-elle se répéter ? 

Alors que le lancement de l’OPA de Vivendi sur Lagardère, tout comme le début de l’instruction du dossier par la Commission européenne doivent débuter dans les prochaines semaines, verra-t-on se profiler un scénario à rallonge et un détourage dans la douleur comme cela avait été le cas en 2002 ? «Tout peut arriver », répondent en chœur les professionnels interrogés dans le cadre de cette enquête. Tous les scénarios sont sur la table, d’un rejet total de la fusion jusqu’à son acceptation totale. 

 

« Le champs des possibles est ouvert, mais le raisonnement qu’était celui de Bruxelles en 2002 devrait logiquement être le même aujourd’hui. Ce qui était inacceptable à l’époque le serait-il devenu en 2021 ? Nous espérons juste que le dénouement sera moins long et moins douloureux cette fois… », analyse le président d’un grand groupe d’édition hors Hachette et Editis, déjà présent dans les débats en 2002. 

« D’une certaine manière, la situation est plus inquiétante aujourd’hui. Nous avons à faire à un groupe Bolloré très puissant dans l’édition, la presse, les médias. Un groupe qui est aussi très interventionniste. Dans le contexte politique actuel, avec les tentations populistes, la situation m’inquiète. La vigilance doit rester de mise », estime finalement Françoise Benhamou. 

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