Peut-être parce que Publius Vergilius Maro, que nous appelons Virgile, n’est pas né citoyen romain, mais à Mantoue vers 70 av. J.-C., et sûrement parce que son enfance s’est déroulée durant l’une des périodes les plus tourmentées de l’histoire romaine (conjuration de Catilina, guerre civile entre César et Pompée, meurtres de César et de Cicéron, guerre entre Antoine et Octave, le futur empereur Auguste), toute son œuvre s’est voulue une célébration de la paix, de la concorde, de l’harmonie rétablie. Une ode au retour de l’âge d’or, sous la férule d’un prince éclairé. Trois grands livres, les Bucoliques, les Géorgiques, l’Enéide, soit une œuvre entièrement conservée, ce qui est un cas presque unique chez les grands auteurs de l’Antiquité gréco-romaine.
Le premier livre, composé de 42 à 39 av. J.-C., est une apologie d’un âge d’or pastoral, en pleine période de conflit politique fratricide. Le deuxième, écrit entre 37 et 30 av. J.-C., se veut plus didactique. On peut y lire un manuel de sagesse et de bon gouvernement, sachant que Virgile en a réécrit la fin après l’avènement d’Auguste, en 27 av. J.-C. Son chef-d’œuvre enfin, l’Enéide, restée inachevée à sa mort (en 19 av. J.-C., à Brindisi, de retour d’un voyage en Grèce) et dont il souhaitait qu’elle fût détruite, est la grande épopée nationale des Romains. En puisant leur lignée chez les rois troyens, les Romains se revendiquaient des origines plus anciennes que celles des Grecs, leurs rivaux sur le plan culturel (au sens large). D’autre part, Enée, fondateur mythique de Rome, était le fils d’Anchise et d’Aphrodite (alias Vénus), dont César prétendait lui aussi descendre. Auguste aussi, par conséquent. Œuvre politique, donc, servant la propagande d’un prince dont l’écrivain était proche, mais avant tout l’une des plus grandes épopées de la littérature universelle, qui résonne jusqu’à nous : en ces périodes de crispation identitaire, la lecture d’un écrivain qui raconte la fusion entre l’Orient et l’Occident ne peut être que bénéfique.
Le lecteur d’aujourd’hui, même s’il n’est pas latiniste, peut maintenant lire Virgile commodément dans cette édition claire, qui propose des traductions nouvelles des Bucoliques et de l’Enéide, et une traduction révisée des Géorgiques. La tâche était redoutable. Les pléiadiseurs ont privilégié l’efficace plutôt que l’effet. L’édition moderne d’un classique.
J.-C. P.