Comment un festival dédié aux premiers romans s'est-il imposé en vingt-cinq ans ?
Il faut revenir au début, quand Jacques Charmatz, professeur de français en lycée technique et professionnel à Chambéry, s'est heurté à la difficulté d'intéresser ses classes à Montaigne ou Voltaire. Pour les faire lire, il leur a proposé des premiers romans : on ne connaît pas les auteurs, la lecture n'est pas polluée par la médiatisation, et cela lui permettait de casser le rapport professeur-élèves. En fin d'année, ce sont les élèves eux-mêmes qui ont demandé à rencontrer un auteur. Des clubs de lecture ont ensuite été créés à la bibliothèque et au lycée. Le festival est né de ça. Vingt-cinq ans plus tard, la dynamique est la même : 3 000 lecteurs choisissent les 15 auteurs invités. Présente dans tout le pays et à l'international, c'est la communauté de lecteurs la plus importante rattachée à un festival en France. L'essor de la production nous a conduits à mettre en place une présélection : une quinzaine de personnes lisent 200 à 250 romans francophones parus dans l'année et en retiennent environ 70 qui sont donnés en lecture à l'ensemble du réseau. Et le festival s'est ouvert à la littérature étrangère.
A quoi est dû le succès ?
Il vient du fait que les lecteurs sont acteurs du festival : ce n'est pas moi qui choisis, mais 3 000 coprogrammateurs ! On croise le phénomène des réseaux sociaux : l'envie de découvrir de nouveaux auteurs est partagée dans une communauté, et les lecteurs sont acteurs-citoyens. Sans cela, il n'y aurait pas de festival du premier roman, car il n'y aurait pas de public ! Qui viendrait voir des auteurs inconnus s'il n'y avait pas ces lecteurs qui travaillent en amont et s'impliquent ? Du coup, c'est très chaleureux et bienveillant. Pour le 25e anniversaire, je fais revenir 15 auteurs passés par Chambéry et qui ont fait un beau parcours. Sur les 400 qui sont venus au festival en vingt-cinq ans, 80 % font la littérature française contemporaine. Les lecteurs ne choisissent pas comme les critiques ou les professionnels du livre mais ils ont du flair !
Les auteurs ont-ils changé en vingt-cinq ans ?
Le geste romanesque pour un premier roman reste très chargé émotionnellement, le passage à l'écriture répond toujours à un besoin impérieux, souvent déclenché par une histoire personnelle. Mais aujourd'hui, les auteurs s'emparent davantage d'enjeux de société. On trouve moins de récits de deuils, d'anorexie, de divorces, moins de livres autocentrés. C'est plus agréable d'ailleurs, car on ne lit pas que des chefs-d'oeuvre ! Cette année, les premiers romans parlent de la société, de violences, de la guerre d'Algérie, du Kosovo, de l'Afrique, du Japon... On y retrouve la mondialisation.
Les éditeurs se montrent aussi plus sélectifs. Peut-on parler d'une qualité en hausse ?
Je ne sais pas répondre à cette question. Mais si l'on ne retient que 70 livres, c'est parce qu'au-delà ça ne tient pas la route. On se demande parfois comment des éditeurs ont pu publier certains textes... Bien sûr, nos choix sont subjectifs, mais nous avons une grille de critères. Il nous arrive d'avoir des réserves, de dire que l'éditeur n'a pas joué tout son rôle pour faire aboutir le texte. Mais tous les ans, il y a de superbes livres.