Le dépaysement et l'évasion constituent un des piliers des lectures estivales. Les sagas historiques ou familiales se déroulant dans des pays étrangers demeurent au programme de nombreux éditeurs. Fleuve éditions, a lancé le 16 mai La vallée des garçonnes, fresque que son auteure, Kat Gordon, a installée au Kenya. Persuadée que le livre est un bon moyen de voyager tout en restant dans son canapé, Florence Salvador, directrice marketing de J'ai lu, a concocté un guide estival pour que les vacanciers sédentaires puissent faire le tour du monde. Les dix-huit livres sélectionnés représentent autant d'étapes dans un pays différent. Une excellente façon, aussi, de remettre en avant le fonds de littérature étrangère.
Du côté des éditeurs spécialisés en littérature de voyage, l'été n'est pas spécialement un cible pour programmer leurs nouveautés. « Ce n'est pas parce que l'on part que l'on a envie de lire de la littérature de voyage », note Line Karoubi, la directrice de Gallimard Loisirs qui nourrit, avec Michel Le Bris, tout au long de l'année, la collection « Etonnants voyageurs » chez Hoëbeke. « C'est une littérature dont les ventes s'étalent toute l'année », plaide Paul-Erik Mondron, directeur de Nevicata et président de l'Union des éditeurs de voyage indépendants (UEVI). Sur le terrain, les librairies poussent cependant cette littérature avant les départs en vacances. « Beaucoup de choses paraissent quand même au printemps, à tel point que cela pourrait constituer une sorte de rentrée de la littérature de voyage. Mécaniquement, comme nous les mettons sur table à ce moment-là, nous en vendons plus », analyse Benoît Albert, qui dirige La Nouvelle Géothèque à Nantes. Un mouvement que le libraire relie aussi au festival Etonnants voyageurs de Saint-Malo, qui se déroule à la Pentecôte et « qui donne une sorte de "la" au secteur, notamment en raison de l'attribution de certains grands prix. »
Confrontation avec la nature
Pour construire leur programme, ces éditeurs spécialisés travaillent au cas par cas. « On regarde les thématiques », assure Valérie Dumeige. La directrice éditoriale d'Arthaud a publié le récit d'Antoine de Baecque,Ma transhumance, carnet de « routo », au printemps, une période « où l'on a peut-être plus envie de sortir et de marcher ». L'ouvrage, qui décrit la route des bergers dans le sud de la France et les Alpes (le GR 69 aujourd'hui pour les randonneurs), peut en effet « servir pour découvrir le chemin », explique l'éditrice. Si elle a positionnéLa solitude du bonsaïde Sébastien Ortiz le 5 mai, c'est parce que ce roman, qui raconte les aventures d'un vieux diplomate sédentaire nommé au Japon puis en Inde, relève « du livre de vacances grâce à son style drôle, qui s'inscrit dans un esprit anglo-saxon », indique Valérie Dumeige. La littérature de voyage s'est transformée en dix ans et s'éloigne du pur récit d'aventures. Ce changement est encore plus notable pour la jeune génération d'auteurs et rencontre les attentes des lecteurs. « Aujourd'hui, la littérature de voyage doit comporter d'autres dimensions, observe Paul-Erik Mondron.Soit faire œuvre littéraire, soit associer une autobiographie, une biographie ou des aspects géopolitiques, historiques, ethnologiques. » Depuis deux ou trois ans, la préoccupation environnementale et la confrontation avec la nature sauvage s'invitent également dans les textes, tout comme la spiritualité et la connaissance de soi. Comme l'explique Christophe Guias, directeur littéraire chez Payot, «aujourd'hui, les jeunes partent pour réaliser un exploit sportif ou pour se confronter à eux-mêmes et aux autres. Derrière leur voyage et leurs récits, il y a un élan, quelque chose qui correspond à un engagement citoyen et qui peut aller de la protection de la nature à la science. Mais toujours avec l'idée que cela doit servir. Ces auteurs portent un mouvement général qui nous sort de la société de la dépression pour aller vers la société du réveil, celle de l'action.»