On ne dira jamais assez le rôle fondateur des lectures de jeunesse dans la formation de l’esprit, des goûts, de la personnalité même du « petit d’homme », comme Baloo appelle Mowgli dans Le livre de la jungle version Walt Disney. Ainsi, c’est parce que, tout minot dans les années 1970, il a adoré Le Lotus bleu, que le Français Michel Imbert s’est passionné pour la Chine. « Ma Chine, précise-t-il, car, après tout, est-ce que la Chine existe ? »

Etudiant à l’école des beaux-arts de Montpellier, puis de Perpignan, Imbert a d’abord eu sa « période Japon », avant de se découvrir une attirance pour l’écriture chinoise, les signes. Et la Chine en général. Un glissement qui fait sens, puisque, dans l’album d’Hergé, Tintin combattait aux côtés des patriotes de Nankin contre l’agression japonaise de 1938.

Il se met à lire beaucoup, prend des cours de mandarin, même s’il dit qu’il le lit, l’écrit et le parle « très mal ». Enfin, « en 1990 ou 1991 » -notre ami a la mémoire qui flanche dès qu’il s’agit de dates -, il effectue son premier voyage dans l’empire du Milieu. Durant trois semaines, il fait « le touriste de base » à Pékin, qui demeure « [sa]ville favorite, même si elle a beaucoup changé », et dans les environs. Parti pour chercher la Chine traditionnelle, il découvre en fait la Chine post-maoïste, cet « envers de l’Occident ». « Ce qui m’a fasciné, dit-il, c’est ce que je n’y ai pas trouvé. » Il y retourne ensuite plusieurs fois, comme si, inconsciemment, il se livrait à des repérages pour ses entreprises à venir.

En effet, à un moment, une question se pose : cette Chine, sa Chine, que pouvait-il en faire ? Michel Imbert se lance alors dans l’écriture de Jaune camion, un polar qui se passe en 1978, peu après la mort de Mao, au moment de la lutte féroce pour le pouvoir entre Hua Guofeng et Deng Xiaoping. Il y invente un héros récurrent, Li, juge dans un tribunal populaire. Les éditions de l’Aube acceptent le texte, mais Marion Hennebert, fondatrice de la maison, suggère à l’auteur de prendre un pseudonyme chinois, pour faire « plus vrai ». Jaune camion paraît donc en 2004 signé Mi Jianxiu, « traduit du chinois par Michel Imbert ». Et ça marche : 5 000 exemplaires vendus et une presse élogieuse, saluant ce nouvel écrivain qui nous fait vivre son pays, « vu de l’intérieur » !

Imbert, au début, se sent « en porte-à-faux ». Il décide de signer son roman suivant, Rouge karma (L’Aube, 2005), de son vrai nom. La sanction est sans appel : 500 exemplaires vendus. Le roman sera réattribué à Mi Jianxiu, tout comme les trois qui suivront, jusqu’à Lotus et bouches cousues, paru en 2009. « J’avais fini par trouver très drôle cette double imposture, d’un artiste qui devenait romancier et d’un Français qui devenait chinois », confie-t-il. Mais son éditeur connaît des difficultés, et leur aventure s’arrête là.

Plasticien.

Michel Imbert enchaîne avec Les disparus du laogaï, qui se déroule de 1953 à 1972 dans un camp de prisonniers, un « polar politique », dont l’intrigue est « prétexte à traverser toutes les couches de la société, et à montrer comment les Chinois, qui ont du mal avec leur propre histoire, peuvent voir le monde ». Le livre sort au Rouergue, en 2010. Sous son nom.

Entre-temps, lors de ses séjours en Chine, le romancier a noué des contacts sur place, et il suit au jour le jour toute la riche actualité chinoise. Il décide de se lancer dans un polar contemporain, qui se situe à Pékin, en 2008, et met en scène un groupe de Chinois ayant participé activement à la révolte de Tiananmen, en 1989, lorsqu’ils étaient étudiants. L’un des leurs vient d’être retrouvé assassiné. Le passé serait-il en train de resurgir ? En revenant de Tiananmen paraît prochainement chez Philippe Picquier, directement en poche, sous la forme d’un joli petit livre rouge, dont la couverture est illustrée d’une photographie de l’artiste chinois Liu Bolin, « qui ressemble à une anamorphose ». Et il travaille déjà à un autre polar « avec circonvolutions », qui courra de 1930 jusqu’en 1950, pendant la Longue Marche, avec quoi il espère demeurer chez son nouvel éditeur.

Michel Imbert est aujourd’hui plasticien, il enseigne les arts plastiques en architecture à l’Ecole d’architecture de Toulouse. Il a même eu pour élève, une fois, un étudiant chinois, « un petit prince rouge qui parlait trois mots de français. Je n’ai jamais su comment il a atterri là, ni comment son cursus a pu être validé ». L’ex-M. Mi, pour sa part, « maîtrise 500 ou 600 idéogrammes, sur une infinité ». « Je peux lire Le Lotus bleu en chinois, dit-il. Ce n’est déjà pas si mal ! En revanche, le Petit livre rouge de Mao, je n’y arrive pas. C’est beaucoup moins marrant. » Qui sait ? Le sien, de petit livre rouge, sera peut-être un jour traduit en chinois.Jean-Claude Perrier

En revenant de Tiananmen, Michel Imbert, Picquier Poche, 270 p., 8,10 euros. ISBN : 978-2-8097-0923-0, mise en vente le 6 juin.

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