"Il existe des histoires à Augustown. Certaines sont des enchantements, d’autres des tragédies, mais la plupart du temps, elles sont un peu des deux." C’est l’esprit du roman de Kei Miller. L’auteur et poète jamaïcain a été récompensé par l’OCM Bocas Prize for Caribbean Literature. Pour lui "chaque jour contient en son sein toute l’histoire", tant il annonce quelquefois un revirement imperceptible. Ainsi le petit Kaia, un rastafari, débarque de l’école avec les cheveux courts. Comment son enseignant a-t-il osé toucher à ses mèches sacrées ? Sa mamy, Ma Taffy, n’en revient pas, d’autant qu’elle pressent que cela annonce un malheur bien plus grand. Cette doyenne en a pourtant vu d’autres, dans sa "morne petite vallée au coin des Caraïbes". La violence y sévit constamment, mais elle est respectée de tous, y compris du chef de gang, Angola.
Cette merveilleuse conteuse aime plonger dans les mythes du passé, pour teinter le présent d’une touche extraordinaire. Mais à l’instar de Shéhérazade, elle n’est pas dupe. On ne peut pas éternellement repousser une épée de Damoclès. "La nuit de l’autoclapse, le ciel était comme du velours bleu. Une lune d’argent luisait." "L’autoclapse", une notion qui désigne "une catastrophe aux promesses d’apocalypse". Tout comme la foudre, elle peut frapper n’importe qui à n’importe quel moment.
Les cheveux courts de Kaia plongent sa mère, Gina, dans le désarroi. Cette femme désarmante s’est battue pour échapper à sa condition précaire, mais elle a finalement "appris des tas de choses qui ne s’apprennent pas dans les livres, ni avec le cerveau. Elle a appris avec le cœur." Une leçon d’humilité et de souffrance qui caractérise d’autres personnages composites de ce roman. Chacun apporte sa propre musicalité, en slalomant entre les bornes de la fatalité.
"Pour véritablement connaître un homme, il faut connaître la forme de sa douleur." Il en va aussi d’un pays, comme la Jamaïque. "L’île était à cran : cela se sentait. On est un peuple humilié qu’a besoin d’être relevé." Kei Miller en dresse un portrait plein de couleurs, de contradictions et d’émotions. L’histoire d’un espoir qui risque de muer au fil des années. Kerenn Elkaïm