Le verre de trop n'aura pas lieu. On connaît Terreur Graphique pour ses histoires courtes dans des ouvrages collectifs (Les autres gens, Pandora, Pilote...), ses albums caustiques chez 6 Pieds sous terre ou dans la collection « Pataquès » de Delcourt, et ses documentaires en BD pour La Revue dessinée ou Mâtin ! Prolifique, il est reconnaissable à son humour volontiers trash, et son efficacité de mise en scène, basée autant sur l'équilibre des bons mots que sur un dessin discrètement virtuose, tout en justesse dans l'exagération. Ces qualités, on les retrouve ici au service d'un propos plus intime que jamais, pour ce qui est sans doute son livre le plus fort jusqu'ici.
Terreur Graphique y parle en effet sans fard de son alcoolisme et de ses efforts pour en guérir. Dans de courts chapitres aux immuables vignettes carrées- vues en partie sur Instagram-, l'auteur tente de remonter aux sources de son addiction sans jamais chercher d'excuse ni d'absolution. Il s'affranchit de la chronologie pour mieux fouiller dans ses souffrances intimes et dans les représentations sociales de l'alcool, qui en banalisent voire en valorisent la consommation (dans les discours familiaux, dans les films...). C'est là qu'il fait très fort : loin de suivre les traces de trop de BD autobiographiques sur divers syndromes et afflictions, qui se contentent souvent de dérouler les conséquences de ceux-là sur le quotidien, Terreur Graphique propose une introspection en forme de voyage en enfance. Bien sûr, il évoque son acceptation de la dépendance, ses rendez-vous médicaux ou son premier sevrage. Mais là où il bouleverse, c'est quand il explique comment il en est arrivé à vivre ivre, reproduisant le schéma paternel qu'il avait pourtant si fortement rejeté. Son album est en effet comme la lettre qu'il n'a jamais pu envoyer à son géniteur, ivrogne gênant et violent, figure de repoussoir pour le gamin souffrant de troubles de l'attention non diagnostiqués qu'il était, pétri d'angoisses et orphelin précoce de sa mère. Dans une narration bourrée de calembours et de références culturelles, et portée par un trait cartoon sale d'une puissance rare, son journal intime d'alcoolique repenti va bien au-delà des simples « confessions » annoncées en sous-titre : c'est le livre d'un auteur qui dévoile, enfin, les facettes trop longtemps camouflées d'un talent immense.
L'addiction, s'il vous plaît ! Confessions d'un alcoolique qui se soigne
Casterman
Tirage: 9 000 ex.
Prix: 23 € ; 144 p.
ISBN: 9782203297937
