Il aimait bien porter des robes. En feuilles de cocotier. Le qu'en-dira-t-on, il n'y arrivait pas très bien. C'était comme ça, le beau risque permanent de sa liberté. Bref, il vécut. Il vécut, Jack London. Pour écrire. Et puis pour vivre. Pour aimer aussi. Déplacer toujours un peu plus loin les limites de l'horizon. Il y eut le Grand Nord et il y eut les mers du Sud. Et la compagnie des hommes. Celle des femmes, de leur beauté, de leur sagesse. Eprouver partout et avec tous une condition qui n'en était une que si l'on voulait (il ne le voulait pas) s'y cantonner : la condition humaine. En ce temps-là, on appelait ça vivre, aujourd'hui ce serait une aventure. Qu'importe, toujours, comme à la fin des Contrebandiers de Moonfleet, « l'exercice a été profitable ».
Bernard Chambaz aussi vit et écrit. Il écrit, comme peu de sa génération, et vit comme il peut depuis qu'un jour, il y a vingt-cinq ans, sur une route du pays de Galles, la vie lui a pris son fils Martin. Les chagrins, le deuil, ce n'est pas fait pour la littérature. Pourtant de Martin cet été (Julliard, 1994) en Dernières nouvelles du martin-pêcheur (Flammarion, 2014) et tous les livres à venir finalement, il ne fut plus question que de ça, de ces lignes de fuite, de cet oubli impossible, de cette part infiniment inconnaissable.
Là encore. Dès le titre. Un autre Eden, Martin,Martin Eden. Voyez le genre. Chambaz se lance sur les traces de London, à vélo comme il aime à le faire. Et bien sûr, en chemin, il croise son cher fantôme. L'éden, et après ? Cette promenade biographique, qui n'est pas sans rappeler le sublimeRetour à Nayack qu'en son temps Jacques Tournier consacra à Carson McCullers, a la rigueur paradoxale, la dignité inflexible, des chemins de traverse. Tout y est de ce qui fut la vie et les passions paradoxales d'un homme qui ne suivit jamais que son bon plaisir, ses vrais chagrins. Cela s'est appelé le socialisme, l'écriture, la gloire, une façon de danser toujours tout au bord du volcan. Swinging London...Et jusqu'au cœur du chagrin, des excès, une joie immense, plus grande que la vie, plus forte que la mort. Une façon de ramener l'un à l'autre, un Martin et puis le suivant, une douceur en somme, qui est parfois l'autre nom de la littérature.
Un autre Eden
Seuil
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 19,50 euros ; 352
ISBN: 9782021331271