"Je n’ai encore jamais participé aux Rencontres nationales de la librairie, avoue Morgane Payock Monthé, cogérante avec sa mère, Sylvie Payock Monthé, de La Malle aux histoires à Pantin, en Seine-Saint-Denis. Mais des collègues qui, comme moi, sont membres de l’Association des librairies du 93, s’y sont déjà rendus et m’ont encouragée à y aller cette année. C’est sans doute intéressant mais je suis sceptique sur les résultats. Toutefois, comme je suis à un stade où ma librairie tourne et où j’ai envie de sortir et de m’investir dans le collectif, je vais m’y rendre."
En début d’année, elle a aussi rejoint le Syndicat de la librairie française. Elle a même été invitée à intervenir lors des Rencontres sur le thème de l’organisation au sein d’une petite librairie. "Je n’ai pas l’habitude de parler en public, soupire-t-elle, mais j’ai des choses à dire. Une librairie telle que la nôtre n’a pas les mêmes préoccupations ni les mêmes façons de travailler qu’une grande libairie. Dans notre cas, nous n’avons la main sur rien : ni sur les remises qui ne prennent pas en compte notre travail, ni sur le choix des livres."
Avec un chiffre d’affaires de 520 000 euros en 2016 dont 450 000 euros dans le livre, La Malle aux histoires oscille, selon les diffuseurs, entre le premier et le second niveau. "On est à la frontière et c’est le bordel, lâche Morgane Payock Monthé. Chez certains on voit le représentant, chez d’autres on travaille sur des catalogues qui peuvent être énormes. Du coup, si on ne connaît pas, on ne prend pas." Consciente qu’elle ne peut recevoir tous les représentants comme une librairie de premier niveau, elle milite pour "des catalogues affinés et resserrés sur les éditeurs qui nous correspondent. Bref, des catalogues qui nous guideraient comme le font les bons représentants". Elle entend aussi adhérer à l’Observatoire de la librairie. "Pour autant, je sais que je suis atypique, confie-t-elle. Par exemple, je ne me reconnais pas du tout dans les meilleures ventes de Datalib."
Déménager, s’agrandir
Non issue du sérail, Morgane Payock Monthé vend avant tout les coups de cœur de la librairie, certains, passés inaperçus ailleurs, étant valorisés de façon originale sur une table consacrée au "Club des recalés : on est bons, alors pourquoi personne ne nous achète ?". On y trouve en ce moment Lettre à la République des aubergines de l’Irakien Abbas Khider (Piranha) ou encore Black no more de George S. Schuyler (Wombat). "Quand on s’énerve sur un titre, constate-t-elle, on peut en vendre jusqu’à 200 exemplaires. Ce n’est pas normal que ce travail ne soit pas rémunéré." D’autant que la librairie évolue sur un territoire qui n’apparaît pas comme des plus faciles.
"Mais les villes changent, récuse celle qui a grandi dans le 93. Il y a trente ans, il y a eu une dévitalisation suivie d’un grand vide. Aujourd’hui, on observe un mouvement inverse, avec l’arrivée de jeunes familles en demande de commerces. En fait, c’est la province qui souffre le plus actuellement. Elle connaît ce que nous avons connu et que nous sommes en train de dépasser. A Pantin, le fait qu’il n’y ait rien est un plus. C’est même beaucoup moins risqué d’ouvrir ici qu’à Paris où les loyers sont très chers."
En témoigne le développement de la librairie depuis sa création en 2004, à Bagnolet. Un pari pour les deux fondatrices : Sylvie Payock Monthé, alors enseignante de 55 ans, aujourd’hui à la retraite, et sa fille de 29 ans, à l’époque conseillère en logistique et contrôleuse de gestion "en quête de sens".
"Nous étions deux grandes lectrices, mais nous n’étions pas libraires, se souvient Morgane qui, enfant, a beaucoup fréquenté les bibliothèques et salue le dynamisme du réseau de Seine-Saint-Denis. Avant de démarrer, nous avons visité de très nombreuses librairies. En revanche, nous n’avons pas suivi de formation. Cela a été une chance. Bien sûr, nous avons perdu du temps et commis quelques erreurs, mais nous avons eu l’avantage de n’avoir aucun a priori. Alors que cela se faisait peu à l’époque, nous n’avons pas hésité à vendre des jeux, jouets et gadgets en plus des livres." Résultat, assure la jeune femme qui considère "le commerce comme un jeu", "si j’ai aujourd’hui de la trésorerie, c’est grâce aux 15 % de ces ventes annexes. Elles réalisent 30 % de notre marge."
Mais c’est sur une autre ville que Bagnolet, où elle affichait une forte spécialisation jeunesse, que La Malle aux histoires s’est développée. En 2006, la mère et la fille, qui vient d’accoucher, s’installent à Pantin dans un local géré par un office HLM au loyer très modéré. Occupant depuis dix ans une boutique de 70 m2, sur la grande artère Jean-Lolive, elles nourrissent actuellement le projet de déménager pour s’agrandir. Morgane Payock Monthé reconnaît être en discussion pour s’installer sur 250 m2 toujours en centre-ville, dans une rue où la mairie veut inciter l’implantation de commerces de proximité. "Ce que nous sommes", lance celle qui considère sa librairie "moins comme un commerce culturel que comme un commerce de proximité qualitatif, à l’instar d’un caviste ou d’un bon fromager". Consciente de perdre des ventes tant la librairie est saturée, notamment lors de ses rencontres-animations au cours desquelles le chiffre d’affaires est moindre qu’en temps normal, elle entend se redonner de l’air et surtout occuper le terrain en cas d’arrivée de nouveaux concurrents. Car, selon elle, "il n’y a pas la place pour deux librairies".
Mais pour l’heure, elle pointe une nouvelle problématique liée à la récente fermeture de la salle de vente du GIE d’Ivry. "Jusqu’à maintenant, nous pouvions répondre à l’essentiel des demandes en 24 heures, en allant chercher les livres nous-mêmes ou en y envoyant un coursier. Maintenant, pour avoir les commandes de livres qui étaient au GIE, il nous faut une semaine. C’est la honte ! Le transport est un vrai problème."
En revanche, Morgane Payock Monthé, à la tête d’une équipe de trois personnes dont un apprenti, salue l’aura que garde la profession. Alors qu’elle vient d’embaucher Olivia Buhannic, ex-libraire de La Manœuvre, pour remplacer Sonia Sabino qui s’en va créer une librairie généraliste aux Pavillons-sous-Bois, la dirigeante se dit "fascinée de voir de jeunes gens vouloir travailler encore en librairie malgré les bas niveaux des salaires". Un élément plus qu’encourageant pour l’avenir des librairies indépendantes.