Avant-critique Roman

Pas son genre. « De quoi voulais-je exactement que cet homme me console ? De quoi voulais-je qu'il me guérisse ? Je voulais je crois que Loïc nous venge − en m'embrassant de son corps formidable − de tout ce dont l'un et l'autre avions manqué. Je deviendrais dans le sexe un frère, une madone, une implorante, mi-vampire, mi-enfant, et lui me bercerait de ses assauts de ravisseur me rendant à moi-même à risquer de m'y perdre. » Elle, c'est Maude. Une femme de son temps, le nôtre, approchant la quarantaine, en concubinage avec Franck, un brillant intellectuel, qui voit dans l'industrie du déchet, qu'il documente, le paradigme funeste de notre époque. Parisienne mais pleine d'ailleurs possibles (la vallée de Chevreuse de son enfance, des hôtels de bord de mer, des routes et des nuits...), Maude est une fille pour qui rien n'est jamais acquis. Elle écrit. Des chansons. Une maison de disques la met en relation avec un chanteur un rien bas de gamme, Loïc Quemener, ancien taulard suite à son implication dans l'affaire de l'escroquerie à la taxe carbone, reconverti dans la variété et le miroir aux alouettes du développement personnel. Pas vraiment son genre, a priori. Il est question d'un album à venir. Maud va regarder Loïc, sa balourdise, sa tristesse d'enfant perdu, sa virilité comme un drapeau déchiré sur le champ de bataille. Et ce qu'elle voit à travers ce corps massif, à travers cet air de fête morne et de défaite, d'Odette de Crécy cocaïnée sous stéroïde, la bouleverse et la ramène à elle-même. À ses victoires, à ses retraites, à ce qui toujours à la fois mute et demeure.

Cee troisième roman, Les corps hostiles, sort des allées désormais bondées d'un discours néoféministe qui cultive l'antagonisme faute d'oser vraiment le conflit. Ici, Stéphanie Polack − par ailleurs brillante éditrice de Maria Pourchet et de Blandine Rinkel − ose. Aller en quelque sorte à la corne du taureau, s'y tenir bravement. Elle ne laisse rien passer ni des redditions de ce temps, ni des tours et détours du désir, ni des narcissismes dévoyés. Elle ne cède pas pour autant à la tentation de l'éditorialisme et son roman en est vraiment un tant sa conduite narrative est complexe et riche. C'est avant tout un livre de l'intranquillité et en cela d'abord, il est admirable.

Stéphanie Polack
Les corps hostiles
Grasset
Tirage: 5 200 ex.
Prix: 19 € ; 260 p.
ISBN: 9782246836087

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