Avant-critique Essai

Stanis Perez, "Le corps des femmes. Mille ans de fantasmes et de violences. XIe-XXIe siècle" (Perrin)

Stanis Perez - Photo © DR/Perrin

Stanis Perez, "Le corps des femmes. Mille ans de fantasmes et de violences. XIe-XXIe siècle" (Perrin)

Rentrée littéraire

Du XIe au XXIe siècle, Stanis Perez déroule « mille ans de fantasmes et de violences » autour du corps des femmes.

Parution 22 août

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Par Laurent Lemire
Créé le 29.07.2024 à 09h00

Peau de chagrin. C'est d'abord une plongée dans des textes nombreux et souvent peu connus. Dans ce corpus imposant, Stanis Perez a sondé médecins, philosophes, théologiens, poètes et écrivains pour savoir ce qui était dit du corps des femmes, des croisades à #MeToo. Il a aussi beaucoup observé les œuvres d'art et les peintures pour comprendre la manière dont ce corps était représenté et comment il avait traversé les siècles. Convoitée, exploitée, réprimée, fantasmée, aliénée, idéalisée mais aimée aussi, cette peau vouée le plus souvent au chagrin mais pas seulement, révèle l'histoire universelle des femmes dans sa diversité et sans manichéisme. Car le grand écueil dans ce genre d'entreprise, c'est de céder à l'anachronisme, à ce choc passé/présent qui brouille la vision d'ensemble.

Mais l'historien, codirecteur de l'axe « Corps, santé, société » à la Maison des sciences de l'homme Paris Nord, montre au contraire les mouvements de balancier qui surgissent sur cette longue durée. On pourrait penser, en effet, que ces rapports complexes entre pouvoir et savoir auraient permis aux anatomies féminines de se libérer du carcan des traditions, mais, au contraire, on observe aujourd'hui une forme de revirement après un mouvement libérateur et libertaire. « Un curieux phénomène est en train de se répandre et d'augmenter en intensité partout dans le monde occidental : les femmes, pour des raisons totalement différentes, sont confrontées à des modèles diamétralement opposés. L'un impose une pudeur extrême, pour des raisons religieuses, identitaires et familiales. L'autre promeut une soumission à un idéal ne tolérant ni les bourrelets, ni la frigidité, ni les traces du temps. » L'émancipation rêvée il y a un demi-siècle semble parfois lointaine et l'inventaire étendu des défauts masculins depuis la vague féministe n'a pas suffi à concrétiser ce nouveau souffle.

Auteur d'un ouvrage remarqué, La santé de Louis XIV (Champ Vallon, 2007), Stanis Perez déplie sa vaste documentation. On y retrouve les débats médiévaux sur la Vierge, la souffrance mystique qui conduit à l'extase, le viol et l'amputation de la langue pour marquer l'association des dames au langage, les sorcières, les techniques d'épilation selon Galien et Avicenne à base de sang de chauve-souris, les Marie-Madeleine peintes dans le plus simple appareil pour illustrer la vanité narcissique des filles, l'obscénité et les crimes des soldats durant les guerres de Religion, le sadisme où sous couvert d'épicurisme le corps féminin est dominé, souillé puis éliminé, ou encore les maladies inventées, comme l'hystérie, destinées à faire passer un message précis sur ces corps amoureux. Ce copieux travail fait écho à des préoccupations actuelles et, parce qu'il pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses, donne des éléments précieux pour comprendre cette condition féminine qui se lit en filigrane sur ces peaux « entre désir et rejet, sublimation et mépris, douceur et barbarie ».

Stanis Perez
Le corps des femmes. Mille ans de fantasmes et de violences. XIe-XXIe siècle
Perrin
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 25 € ; 432 p.
ISBN: 9782262099411

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