Annick est gironde malgré ses régimes à répétition et ne tient plus sur ses jambes variqueuses qui n'arrêtent pas de monter et de descendre l'escalier de l'hôtel dont elle est la patronne. Gérard, son mari, est petit et sec avec d'énormes pognes, prêt à en coller une au moutard pas sage. Autant il est violent verbalement autant il est veule dans ses actes. Il rentre tard et soûl de la Poste où il travaille et trompe sa femme avec les employées. Hôtel de Bourgogne, quartier gare d'Austerlitz, la France vient d'élire François Mitterrand dont le programme est « Changer la vie ». Mais la vie pour « le garçon », le narrateur de 13 ans de Comment tout a commencé de Philippe Joanny, ne changera pas. La mère se plaint et pleure, le père les engueule lui et son petit frère Rémi. Les parents se disputent à longueur de journée.

Le garçon hait ce père raciste, sympathisant communiste ayant viré FN. Il adore sa mère martyre, tout en se demandant comment il a pu être le fruit de ce couple d'Auvergnats si mal assortis, montés à la capitale pour y tenter leur chance. Pourquoi ne quitte-t-elle pas cet homme odieux qui lui ressemble physiquement et à qui il ne voudrait en rien ressembler : « Il porte peut-être les gènes de son père, mais pour lui c'est une maladie qu'il lui a transmise. S'il ne veut pas devenir cet homme, il faut qu'il fasse exactement le contraire de lui. » Le garçon grandit dans cette rue d'hôtels sans étoile, de passage, voire de passe, parmi les prostituées et les touristes, avec les gosses du quartier. Il ne se sent pas comme les autres, « il pense qu'il est un fils indigne ».

Un jour qu'on lui demande d'aller chercher de la javel à la buanderie, il tombe sur des magazines pornos. Tous ces corps dénudés, contorsionnés, imbriqués le fascinent. Il est submergé par le désir... du même sexe. « Désormais il a un secret. »

Philippe Joanny, auteur d'une « tragédie burlesque », Le dindon (Balland, 1999), signe ici sa première fiction, un roman d'apprentissage dont la voix du narrateur mue au fil des pages et vibre aux premiers émois d'une chair inassouvie, entre haine de soi et folle espérance de l'autre, sur fond de peur du « cancer homosexuel » au début des années 1980, le sida, et de percée du Front national aux élections. Au naturalisme des dialogues l'auteur mêle savamment les fantasmes du héros. Et possède aussi cette épatante façon, singulière, lapidaire, de mettre en exergue toute la solitude d'une adolescence en marge : « Dans sa chambre, affalé sur son lit, il dévore les Mémoires d'outre-tombe en écoutant lesCure. »