À l'aube d'une révolte. Dans ce pays âpre, reculé, les histoires ne connaissent pas de fin heureuse. Celle de Madelaine, fillette sauvage surgie de la forêt, n'échappera pas à cette règle, quoique bouleversant l'ordre immuable, et ici injuste, des choses. Soumis au dur labeur d'une terre ingrate, les habitants de La Foye usent leurs forces sur le soc et l'araire de l'aube au crépuscule de leur existence. Les vieux ne durent pas : « On n'en veut pas, on ne peut pas », et la moitié des enfants meurent avant l'âge de 10 ans. L'histoire de Madelaine nous est contée par un enfant grandi trop vite, recueilli par Rose, dont les deux fils ont quitté le « Pays Arrière » pour tenter leur chance ailleurs. Quand la chance leur a souri, ils n'ont pas proposé à leur mère de les rejoindre, et Rose n'aurait de toute façon pas quitté « son bout de pays ».

Dans le hameau des Montées vivent deux femmes d'une beauté fulgurante, Ambre et Aelis. Jumelles, elles ont pourtant des caractères opposés : « C'est comme le conte des deux sœurs, l'une charmante l'autre revêche, sauf que dans le conte, la revêche est laide, l'histoire est trop facile. » La douce Ambre a été donnée en épouse à l'ivrogne Léon, tandis que la froide Aelis vit avec Eugène, un homme bon et travailleur. Aelis a donné naissance à des garçons mais espérait une fille, Ambre n'a jamais réussi à enfanter. « Chez Aelis, l'insatisfaction de tout. Chez Ambre, son sale mari et le berceau vide. » C'est seulement quand elles sont ensemble que les deux sœurs sont heureuses, comme « deux rayons de soleil identiques », riant tout en accomplissant leur ouvrage. Pour Les Montées, l'arrivée de Madelaine représente d'abord une bouche supplémentaire à nourrir, mais tous sont bientôt ravis par le courage et la flamme animant la fillette. Un courage propre à défier l'ordre seigneurial en place et la folie meurtrière d'Ambroisie-le-Fils, dont le galop du cheval incarne le bruit que les villageois haïssent le plus. « Nous pourrions être les personnages des histoires que les conteurs colportent depuis toujours, à une différence près [...]. Les rois ne sont jamais venus enlever une de nos bergères, ou alors pour la violer, pas pour en faire une reine. » Des personnages qui, face à l'injustice d'un pouvoir arbitraire, ont le choix de courber l'échine ou d'enfin relever la tête. Au sommet de son art de conteuse, Sandrine Collette ravit son lecteur avec ce récit d'une révolte aux accents universels, ancré dans un territoire de légende qui sied idéalement au sortilège de sa prose. Une splendeur !