On se souvient encore de Mes illusions donnent sur la cour (Fayard, 2009), le premier roman de Sacha Sperling, comme de la naissance d'un écrivain. Issu du milieu du cinéma - né en 1990, Yacha Kurys de son vrai nom est le fils d'Alexandre « Le grand pardon » Arcady et de Diane « Diabolo menthe » Kurys, et le demi-frère du réalisateur Alexandre Aja -, il se lançait dans une autofiction à la fois totalement décomplexée (sexe, drogues et chanson française, avec son titre emprunté à Gainsbourg) et stylistiquement maîtrisée. Il parvenait même à en faire oublier le côté « pauvre petit garçon riche » à problèmes, client idéal pour la psychanalyse. Écrire l'a sans doute sauvé de quelques-uns de ses démons. Depuis Histoire de petite fille (Seuil, 2016), son quatrième roman et sa première vraie fiction, puis Ma mère est folle, une comédie coécrite avec sa mère, interprétée par Fanny Ardant et Vianney, sortie en 2017, on n'avait plus eu de ses nouvelles. En voici, et l'on comprend mieux pourquoi.
Le fils du pêcheur marque son retour à l'autofiction, ce qu'il sait faire de meilleur. C'est l'histoire de Sacha Sperling, un écrivain à succès et à problèmes, en pleine crise avec Mona, sa compagne depuis sept ans, qui ne parvient plus à écrire depuis des années (en dépit des objurgations maternelles), et décide de fuir Paris, de se réfugier dans sa maison de campagne normande, pour justement se remettre à écrire. Précision : la maison, un ancien presbytère près de Druval, Calvados, appartint autrefois à Jane Birkin, qui l'a vendue lorsqu'elle a quitté Serge Gainsbourg pour Jacques Doillon. Sacha Sperling raconte en off qu'un arbre du jardin porte encore « Melody Nelson » gravé au couteau. Jolie coïncidence.
En fait de travailler, le jeune homme se livre à toutes les addictions possibles (alcool, tabac, médicaments, drogues), à tel point qu'on se demande comment son organisme résiste. Il rumine ses souvenirs d'enfant solitaire négligé par ses parents, ainsi que les étapes de sa relation avec Mona, une longue descente aux enfers, surtout après qu'elle a perdu son père et fait une fausse couche. Sacha a été diagnostiqué asthénospermique : il ne pourra jamais concevoir d'enfant.
Et puis Sacha rencontre Léo, 20 ans, le fils du pêcheur Gilles, le voisin d'en face. Un beau prolo, taiseux, tendu, dont il tombe fou amoureux. Au début tout va bien, le garçon s'installe, prend les choses en mains, manifeste son intérêt pour le livre à venir. Mais Sacha, jaloux, fait un certain nombre de découvertes : et si Léo, fou de motos, n'était qu'un gigolo intéressé, menant par ailleurs une double vie ? Tout cela aura duré sept mois (le lecteur en est averti dès le début) et se terminera de la même façon qu'avec Mona : larmes, violence, rupture, fuite...
Le livre est subtilement construit, riche en épisodes et personnages adventices (par exemple sa mère, sa psy, ou son éditrice de toujours, Élisabeth, qu'il appelle Isabelle), à la fois très direct et très sophistiqué, et se dévore comme un thriller qui s'écrirait en direct. Très fort.
Le fils du pêcheur
Robert Laffont
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 20 € ; 352 p.
ISBN: 9782221256916