Connaissez-vous Richelieu ? Non pas le cardinal, mais la ville fortifiée d'Indre-et-Loire entièrement bâtie par sa seule volonté, comptant aujourd'hui, si l'on en croit le dernier recensement, 1 971 habitants. Depuis la mort du ministre de Louis XIII, cette cité close entre ses remparts n'a guère fait parler d'elle. Jusqu'à aujourd'hui où elle se découvre, véritable héroïne de Ville close, le nouveau "roman d'atmosphère" de Franck Maubert (prix Renaudot essai pour Le dernier modèle, Mille et une nuits, 2012).
De nos jours (mais ce pourrait tout aussi bien être il y a cinquante ans ou un siècle...), Julien Collardeau, journaliste gastronomique en rupture de ban, se retire à Richelieu dans la maison d'une tante défunte (dont on comprendra qu'il fut un temps l'amant). Il y fera la connaissance d'un certain nombre de personnages doucement excentriques et franchement inquiétants, un décorateur homosexuel qui roule en Triumph, un libraire érotomane qui aurait connu la prison, le maire de la ville, médecin dans le civil, séducteur à la triste figure, un comédien misanthrope qui ne communie plus guère que dans les souvenirs des années où il tenait à Paris de haut de l'affiche... Bientôt, les morts mystérieuses d'une secrétaire de mairie d'origine polonaise, du compagnon américain du décorateur, d'une vieille dame à l'héritage important, font peser sur Collardeau (qui pour ne rien arranger s'est vu confier par son journal la rubrique "viande froide", les nécrologies), sur la ville entière, ses rues désertes, une atmosphère où l'angoisse le dispute à la fascination. Le secret de cette énigme résiderait-il dans ces vieux grimoires qui passent de main en main et chantent la chanson de geste de Richelieu ?
En lisant Ville close, Patrick Modiano y aurait perçu les accents de Simenon et d'André Dhôtel. C'est bien vu. On y rajoutera les effets de sidération du réel d'un Mario Soldati et, plus près de nous, quelque chose qui pourrait rappeler l'onirisme élégant d'un Thierry Dancourt. Et si, finalement, après avoir exploré le vaste monde et son petit nombril, la province (qui est pour Franck Maubert une île sous le vent) devenait la "nouvelle frontière" du roman français ?