À sa mort, en 1944, à cause de ses poumons cramés par le trichlo lors des folies de sa jeunesse, et des privations dues à la guerre, René Daumal (né en 1908, dans les Ardennes comme Rimbaud), laissait un roman inachevé, Le mont Analogue. Épopée initiatique, métaphysique et burlesque, inspirée par sa propre expérience de la montagne, le texte ne parut qu'en 1952. Il fallut attendre 1981 pour que l'éditeur restitue la fin telle qu'elle était, sur une virgule : « Sans elles [les guêpes], une quantité de plantes qui jouent un grand rôle dans la fixation des terrains mouvants, ».

Phrase écologiquement prémonitoire : tout ça parce que le héros a tué un vieux rat, bouleversant ainsi l'écosystème. Daumal fut aussi un pionnier en matière de sagesse orientale, maîtrisant le sanskrit. Culte, ce Mont Analogue enchante les admirateurs de Daumal, comme Boris Bergmann, à l'initiative de ce projet passionnant riche en inédits et en documents jamais montrés, ou encore Cécile Guilbert et la grande Patti Smith, qui le préface et postface. Le poète, un « punk primitif » qui lui rappelle son propre fils, figure dans son panthéon, aux côtés de Rimbaud et d'Artaud. Elle commente avec émotion la sublime dernière photo de Daumal, prise le 14 mai 1944 à Paris, une semaine avant sa mort.

Décharné, barbu, alité, il est déjà tourné vers l'au-delà et cet « espace du dedans » qu'explorera Michaux, disciple du Grand Jeu, groupe cofondé par Daumal. L'album, qui offre également le texte intégral du Mont Analogue, accompagne l'exposition « Monts Analogues » organisée par le Frac Champagne-Ardenne, à Reims, jusqu'au 23 décembre 2021.