Comment publier un premier roman, quelles sont les relations entre l'auteur et l'éditeur, comment accompagner les primo-romanciers, quel accueil reçoivent-ils dans les médias...? C'est autour de ces questions que s'est déroulée la journée d'étude proposée par la Société des gens de lettres le 24 juin à Paris sur le thème «Quelle place pour les premiers romanciers dans la littérature contemporaine?»
Un an après la parution de leur enquête Entrer en littérature. Premiers romans et primo-romanciers dans les limbes (Arkhê), Bertrand Legendre et Corinne Abensour ont orchestré les interventions et fait vivre les résultats de leurs recherches (voir aussi LH 907 du 27.4.2012, p. 12-15).
Place aux auteurs, d'abord: Julia Deck (Viviane Elisabeth Fauville, Minuit), Carole Fives (Que nos vies aient l'air d'un film parfait, Le Passage), Dominique Le Brun (Quai de la douane, Ouest France) et Pascale Roze (Le chasseur zéro, prix Goncourt 1996) ont évoqué leur parcours, la lecture attentive qu'elles attendent de leur éditeur, le passage au deuxième roman...
Les éditeurs leur ont succédé à la tribune pour redire que la découverte d'auteurs était le coeur même de leur métier. La décision de publier est apparue parfois évidente, parfois moins. «Ce qui est assez terrible, c'est le manuscrit dont on pense que si on le prend on fait peut-être une erreur et que si on ne le prend pas on rate quelque chose, admet Catherine Guillebaud, directrice littéraire d'Arléa. On est pris par un mimétisme dans l'édition, on ressent une fébrilité quand un manuscrit que l'on a refusé est pris ailleurs. Mais nous devons être solides dans nos choix. Et je ne crois pas au chef-d'oeuvre impublié.» Le refus est lui aussi un sujet de débat. «Comment dire non? Faut-il circonstancier le non ou se retrancher derrière une espèce de lâcheté? On a une sorte de pouvoir incroyable avec ce non», reconnaît-elle. Joëlle Losfeld, directrice des éditions du même nom, a elle aussi opté pour la lettre type: «Cela me semble plus juste par rapport à l'auteur. Il y a des manuscrits que je ne comprends pas, dont je ne saurais pas dire pourquoi je ne les aime pas.»
Quant à donner des conseils aux auteurs refusés... «Devant l'avalanche de manuscrits, il est pratiquement impossible de prendre sa plume et d'écrire à chacun, de leur parler de leurs défauts, reconnaît Thomas Simonnet, directeur de la collection L'Arbalète et membre du comité de lecture de Gallimard. Souvent, on choisit des textes parce qu'on y rencontre un problème, c'est ce qui m'intéresse. Derrière, il faudra construire un argumentaire pour convaincre plein de gens, les représentants, les libraires... Tout le travail se concentre autour des manuscrits choisis.»
Vient ensuite la prescription, dans laquelle Internet prend de plus en plus de place. Les communautés de lecteurs, qui revendiquent une ouverture plus grande que les médias traditionnels, sont-elles réellement un vecteur de diversité? «Pas du tout», répond Louis Wiart, doctorant à l'université Paris 13, qui a réalisé une étude statistique sur la prescription littéraire sur les réseaux sociaux de lecteurs comme Babelio, Libfly, Sens critique... «On remarque une hyperconcentration de la prescription sur un nombre très limité de premiers romans. Sur 100 titres, 20 concentrent 80% des critiques et des notes.» Conclusion: «Les internautes sur les réseaux sociaux de lecteurs rejoignent les autres prescripteurs. Pour les premiers romans, il y a une continuité évidente entre le dispositif de jugement traditionnels comme la presse, et les dispositifs qui se créent sur Internet.»
Plus d'une centaine d'auteurs étaient présents à l'hôtel de Massa, siège de la SGDL, pour écouter ces éclairages et poser des questions sur les critères de choix des éditeurs, les agents littéraires, l'édition numérique ou encore les contrats de L'Harmattan, plus fort pourvoyeur de premiers romans en France.