Et de trois : après Le rêve de Meteor Slim (Sarbacane, 2008) et Lomax (Dargaud, 2011), où la musique noire jouait déjà un rôle crucial, Frantz Duchazeau plonge à nouveau dans l’Amérique profonde et ses mythes fondateurs. Il s’agit cette fois d’un jeune Noir doté d’une jambe de bois après avoir chuté d’un train dont il était passager clandestin. Embauché dans l’un des ministrel’s shows ou medicine shows, ces spectacles itinérants qui sillonnaient les Etats-Unis à la fin du XIXe siècle, souvent pour vanter les mérites d’une potion miracle, il va se révéler un remarquable danseur et joueur de banjo sous le surnom de Blackface Banjo.
D’abord sous l’aile d’un medicine man irlandais, puis sous celle d’un mystérieux chef indien, le jeune homme trace cahin-caha sa route vers les sunlights new-yorkais à travers une Amérique encore dans les affres de son propre accouchement. Délaissant les tableaux mélancoliques du Rêve de Meteor Slim, prenant un peu de distance avec la problématique plus politique de Lomax, Frantz Duchazeau aborde cette fois ce pays neuf au plus près de ses citoyens, également en mutation rapide. Il enchaîne des saynètes dont il cisèle le mouvement sur parfois dix à vingt cases subtilement accordées. Son style lui-même évolue au fil du récit. Au texte de ses phylactères se substituent peu à peu des mots isolés, puis des petits dessins logoïsés confinant au rébus. Comme pour figurer les énigmes pendantes du processus de formation de ce grand pays et de son peuple.
Fabrice Piault