Deux ans après La fuite du cerveau, récit d'une course-poursuite à travers les États-Unis sur les traces du cerveau d'Albert Einstein, enlevé par un médiocre médecin légiste qui espérait y trouver les racines du génie (Dargaud, 2020, voir LH Le magazine n°1, septembre 2020), Pierre-Henry Gomont propose une nouvelle histoire rocambolesque, cette fois-ci en Russie. Après l'effondrement de l'Union soviétique, les escrocs et spéculateurs prospèrent sous Boris Eltsine, dans les années 1990. Ils se livrent à de multiples trafics autour des vestiges de l'empire déchu : bâtiments, usines, matériels, stocks, œuvres d'art…

Artiste privé de substance dans ce monde en désagrégation qui ne prise plus que la marchandise, Slava Segalov est de ceux-là. Du moins il tend à le devenir au côté de Lavrine, déjà bien introduit, lui, dans le milieu des oligarques et autres mafieux en devenir auquel il revend toutes sortes de matériaux de valeur prélevés dans les palais abandonnés du régime déchu.

En plein hiver, les deux compères sillonnent les maisons du peuple, sanatoriums et autres monuments perdus dans un paysage de montagnes enneigées lorsque, attaqués par des brigands, ils vont être secourus par la belle Nina et son colosse de père.

Eux-mêmes ouvriers naufragés d'un gigantesque complexe industriel sur le point d'être vendu et démantelé, ils cherchent avec leurs camarades à sauver leur outil de travail. Ils vont solliciter Lavrine et Slava pour les aider à trouver des partenaires dans les arcanes sauvages du capitalisme russe naissant. S'ensuit une expédition à la ville parmi les requins de la finance et des affaires officielles, officieuses ou totalement souterraines, dans un monde où la confiance est une denrée rare et les retournements d'alliances fréquents.

Au scénario comme au dessin, Pierre-Henry Gomont est tout à son affaire, qu'il mène au rythme d'un pays où le niveau d'hystérie demeure sensiblement supérieur à la moyenne. Surtout, par le soin qu'il apporte aux détails, il donne à voir dans sa chair la décomposition et la mutation alors à l'œuvre en Russie, livrant, d'une certaine manière, son « roman russe », ancré dans la réalité par des paysages, des sites, des personnages, des situations, des véhicules, des meubles, des atmosphères. Certes, les textes ne sont pas présentés en langue russe, mais les onomatopées, elles, sont phonétiquement transcrites en cyrillique.