Et tout ça pour rien ! A la mort de sa mère, veuve de boucher, d'une avarice sordide et d'une vacherie rare, la mère de Pierre Jourde hérite de quelques cochonneries, dont un canapé-lit et deux fauteuils, aussi immondes qu'imposants. Mais, piété filiale oblige, pas question de s'en débarrasser. Il est donc décidé de transporter l'encombrant jusqu'à Lussaud, Cantal, dans la maison de famille, où tout cela ira moisir au grenier.
Une expédition est organisée, de Créteil à l'Auvergne, composée de Pierre Jourde, de son frère Bernard, dit « le génie du Mal » dans leur enfance, et de sa femme Martine. Tout ce petit monde rassemblé dans un Jumper de location, empruntant les petites routes, ce qui permet amplement le temps de la conversation. Ou plutôt de la remémoration et du monologue, car c'est en fait l'écrivain qui se sert de ce prétexte fort habile pour dresser de sa famille un portrait sacrément gratiné, et raconter quelques épisodes de sa jeunesse aventureuse pas piqués des hannetons. Au passage, quelques réflexions morales ou mélancoliques, sur la vie, la mort et tout ça.
La philosophie dans le camion, en quelque sorte, mais selon la méthode Jourde : intello, provocateur, voire tête à claques. Ce garçon a l'art de se faire des ennemis, notamment dans le Cantal, et il n'est pas sûr que ce nouvel opus arrange ses affaires ici ou là. Ça le regarde, et cela nous vaut un texte truculent, picaresque, tout en humour et en autodérision, avec quelques morceaux de bravoure : expéditions acrobatiques en Amérique du Sud, en Inde du Nord, ou en canoë au Canada, chahuts monstres chez les Bons Pères, etc. A un moment, apparaît un autre Pierre Jourde, un homonyme, auteur d'un Pays retrouvé qui fait écho au Pays perdu de l'écrivain (L'Esprit des péninsules, 2003), qui lui avait valu d'être chassé de son village à coups de pierres. Se non è vero, è ben trovato...
A un autre moment, Jourde dialogue avec un lecteur fictif qui, choqué par ce qui lui est conté (ou peut-être par le barbarisme volontaire de la page 188), saute en marche du Jumper. Coquetterie, bien sûr. Car ce « récit autobiographique » se lit avec jubilation, jusqu'à ce que la mère, mise au courant de l'état du fichu canapé-lit, bien malmené durant le trajet, lance, superbe, un. « Fous-moi ça à la poubelle ! ».
Le voyage du canapé-lit
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 20 euros ; 272 p.
ISBN: 9782072776250