Avant-critique Roman

Philippe Jaenada, "La désinvolture est une bien belle chose" (Mialet-Barrault)

Philippe Jaenada - Photo © Pascal Ito/Flammarion

Philippe Jaenada, "La désinvolture est une bien belle chose" (Mialet-Barrault)

Rentrée littéraire

Philippe Jaenada part sur les traces d'une jeune femme suicidée en 1953 faute d'avoir trouvé le goût de vivre. Magistral.

Parution 21 août

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Par Olivier Mony
Créé le 15.07.2024 à 09h00

La môme Kaki. C'est une génération perdue. Coincée entre la guerre, la faute des pères, la Nouvelle Vague, les jours heureux des Trente Glorieuses. Pas pour eux. Qu'ont-ils eu, eux, si ce n'est 20 ans en 1950 (et ce n'était pas nécessairement le meilleur moment pour les avoir) ? Le goût des bandes, des cafés, de l'alcool, des pauvres coups d'éclat, d'un triste libertinage. L'idée que le travail avilit et que la jeunesse se suffit à elle-même. Laisser passer le temps en se tenant chaud, au zinc des bistrots ou dans de miteuses chambres d'hôtels.

Le temps qui passe justement, chez Philippe Jaenada, ne passe pas inaperçu. Du moins, les silhouettes indécises, passagers clandestins de l'Histoire, qui le traversent. Il est chez lui question de la réhabilitation du souvenir. Modiano fait cela aussi. Différemment, mais avec chez les deux hommes le même sens de l'obsession magnifique. L'un s'enfonce dans les brumes, l'autre fait mine de les dissiper.

Comme dans cet admirable La désinvolture est une bien belle chose, où l'auteur de La serpe (Julliard, 2017) creuse un peu plus le sillon de ses flâneries de détective de la mémoire. Le titre est extrait du manifeste debordien de l'Internationale lettriste − la phrase suivante étant : « Mais nos désirs étaient périssables et décevants. » Debord donc, car celui-ci faisait partie d'une bande de jeunes gens désœuvrés et vaguement nihilistes qui dans le Paris du début des années 1950, se retrouvaient dans un café de la rue du Four, Chez Moineau. Parmi ces chiens perdus sans collier, une fille, Jacqueline Harispe, dite « Kaki ». Née d'un père collabo mort en prison, elle est très belle, a sans conviction fait le mannequin chez Dior, mais préfère passer son temps à boire, à se droguer, à collectionner les amants. Un jour, le 28 novembre 1953, le dernier d'entre eux, un militaire américain, lui propose de « laisser tomber » (à quel propos ?). Elle le prend au mot et passe par la fenêtre du troisième étage de leur chambre d'hôtel. Elle avait 20 ans. Celui qui ne la laissera pas tomber en revanche, c'est Philippe Jaenada. Ni elle, ni tous ceux autour d'elle. Tout en entamant un tour automobile et drolatique de la France par ses bords, de Dunkerque à Maubeuge, l'auteur laisse plus que jamais libre cours à sa passion de l'exhumation. Tout revient au fil des jours et de la route, les souvenirs, les visages et les voix du passé, les chagrins. C'est à pleurer. D'émotion devant la beauté de ce livre magistral.

Philippe Jaenada
La désinvolture est une bien belle chose
Mialet Barrault
Tirage: 55 000 ex.
Prix: 22 € ; 496 p.
ISBN: 9782080427298

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